Artem SAVART
Un Russe en Ukraine

La fin du bal

Cette guerre va terminer, il n’y a pas d’autres options. Toutes les guerres se terminent un jour ou l’autre, celle-là n'est pas une exception.

Ce qui est triste, c’est des vies qui s’arrêtent en plein vol, et pas des balles, comme chantait Vysotsky dans une de ses rares chansons en français, interprétées par lui-même. Je ne suis pas au front; donc je ne dirais pas que je cours un risque énorme, à part des missiles qui sont beaucoup moins nombreux que la population en Ukraine, mais je pense souvent à la mort, à cette transition inconnue.

Ça me rappelle les cours de philosophie dans ma deuxième université où je me suis inscrit littéralement pour éviter d’aller en armée russe pour deux ans de soi-disant entraînement. Je n’y allais pas souvent, je payais ma présence et cela était suffisant, les examens n’ont jamais été durs, on parlait juste en égaux avec les professeurs, on s’exprimait. On pourrait dire que c’était du bidon, mais nous savions tous pourquoi on était là et personne n’avait honte. Éviter l’armée, c’était toujours un privilège en Russie, qui n’était pas accessible à tout le monde, malheureusement.

Je me souviens d’une dispute avec un prof à propos de la mort, justement. Lui, il enseignait la théologie, moi je ne pouvais pas accepter le fait que mon âme puisse encore exister après que moi, je n’existe plus. Je ne dirais pas qu’on se serait mit d’accord maintenant, mais on se comprendrait mieux, ça c’est sûr. Quand la mort se promène autour de vous, même si elle ne devient pas votre ami, vous êtes bien des partenaires, c’est obligé. Ai-je peur ? Non. Et je sais pourquoi, c’est assez simple. Quand on a des partenaires comme ça, on sait très bien que faire. Suivre son cœur, en gros.

On n’est jamais mauvais, quand on est libre de faire ce qu’on veut. Ce que l’on veut vraiment, pour soi-même, pas pour les autres. Comme ça, on ne reproche rien à personne, y compris soi-même. On est content de chaque instant vécu, et s’il est le tout dernier, on n’a pas à le regretter, parce qu’on s’est finalement accepté en tant que tel. Ne jamais mentir, surtout à soi-même, rien ne le vaut et ça ne mène à rien de beau. 

Si on regarde de plus près cette guerre, avec tout ce qui se passe autour et à propos, si on se met bien dedans en se regardant de loin en même temps, on peut réaliser, comme moi je réalise, qu’il ne se passe pas autre chose qu’avant ou malheureusement après. Les guerres ont toujours eu lieu, ici et là un peu partout et tout le temps. Ça fait partie de la vie, du quotidien même.

Quand je le prends de ce côté, pour moi il ne reste plus rien qui serait assez important pour prendre une vie à quelqu’un. Pour le priver de ce présent, auquel nous avons tous droit. Les frontières ? Elles n’ont jamais été stables. Mais vraiment jamais. Les langues ? Mais elles évoluent chaque jour et toutes seules. C’est un organisme vivant comme les autres. Et encore, beaucoup plus fort et débrouillard que nous, les humains. L’argent ? Le pouvoir ? Les valeurs ? Quoi ? Qu’est ce qui peut justifier une guerre ? La connerie peut-être ? Elle est la raison, c’est sûr. Mais elle ne la justifie pas.

Cette guerre sera terminée par un accord qu’on a déjà vu un paquet dans l’histoire. Où sont-ils, ces accords ? Peu importe. Ils ne pèsent rien au moment où un con veut faire une guerre et les autres sont obligés de suivre. Même si toutes les armes disparaissent un jour, on va recommencer avec des pierres et des bâtons. C’est triste, mais c’est comme ça. On ne peut pas éviter.

Et si on veut trouver un bénéfice dans une guerre, il y en a un : ça aide à enlever les illusions, de voir plus clair, de s’entendre mieux avec son âme. On se retrouve seul, comme chantait Jacques Brel. Ce n’est ni bien ni mal, c’est la vie et la mort qui sont inséparables. Il a bien suivi son cœur le Grand Jacques. Pour moi c’est un exemple qui m’aide beaucoup pendant cette guerre. Exemple de sincérité, surtout avec soi-même.

Quand tu es sincère, tu n’as plus à avoir peur. Aucune raison. Et tu deviens libre. Et peu importe combien de jours il te reste sur cette terre, tu n’as pas à t’inquiéter, tu fais tout en accord avec ton âme, qui est beaucoup plus forte et débrouillarde, que ton égo. Tu comprends que pour être heureux, tu n’as besoin de rien de spécial. Juste être sincère.

Et pour tout ce que tu as déjà, tu deviens tellement reconnaissant, que le monde te donne d’avantage de belles choses. Belle pour toi, suivant tes vraies envies, qui ne sont plus bloquées par les mensonges intérieures. Tout est considéré comme un coup de chance, tout ce qui t’arrive.

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