Artem SAVART
Un Russe en Ukraine

La ville respire

Version complète de ma chronique mensuelle sur RTBF du 11 octobre dans Matin Première avec Françoise Wallemacq et François Heureux.

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Les temps doux sont revenus pour quelques jours, avant que le froid ne commence à s’installer pour de bon. Les gens en profitent. Je me suis rendu compte, que pendant tout l’été je n’ai fait aucune sortie au bord de la mer, alors qu’elle est là à 1 kilomètre seulement. Il y a tellement de choses à faire pendant une guerre, même si tu n’es pas au front, que la vie soi disant normale est très souvent mise de côté.

Et tu te demandes d’ailleurs, ce que c’est qu’une vie normale. Les guerres font partie de ce monde depuis toujours, sauf que pas tout le monde se croise avec.

Bref, j’ai quand même essayé de corriger ce manque de respect envers la mère que j’adore, avec laquelle on a pas mal discuté en silence lors de mes premières années à Odessa, mais j’ai marché plus d’une heure et je n’ai pas pu la voir. Toutes les entrées sont bloquées. Une autre fois alors. Elle attendra. Elle attend toujours. Elle est toujours là. À  la fois immobile et jamais la même. Et elle vous comprend très bien. Elle a ce don d’enlever la poussière et de vous montrer ce qui est essentiel. On se reverra bientôt.

En attendant je me contenterai d’un parc public, tout aussi joli et accueillant, on dirait un gosse par rapport à l’âge et la sagesse de la mer. Rempli de vieux arbres, de lumières jaunes chaudes comme je les ai toujours préféré, comme il y en a partout à Moscou où je me promenait très souvent à l’époque, comme il y en a partout dans ce monde, peu importe les décadences politiques pratiqué par les gens qui y vont, peu importe les malheurs et les bonheurs qu’ils traversent en ce moment.

Ils y vont, pour avoir un peu de paix, même en temps de guerre, même pendant les alertes. Il est bien rempli de gens ce parc où je me suis installé. De gens qui se regroupent autour des musiciens, qui ne chantent pas qu’en ukrainien, malgré les lois interdisant la langue de l’ennemi, des lois qui ne servent à rien, c’est même les Ukrainiens qui ont codifié le russe il y a quelques siècles. Donc les gens, ils s’en foutent un peu, ils parlent et ils parleront la langue qu’ils veulent. Ils se promènent tranquillement, ils boivent leurs boissons. Il y en a qui s’embrassent, il y en a qui sont préoccupés de quelque chose.

Je m’assois, pour me reposer un peu, faire un point, comme on dit et surtout observer cette ville merveilleuse respirer malgré les horreurs qui lui tombent dessus. Des guerres, d’ailleurs, elle en a déjà vu. Elle a même vu plusieurs gouvernements se renverser les uns après les autres en deux ans, au début du XX-ème siècle. Les Roumains, les Russes, les Allemands, les Français, les Ukrainiens, les Bolchéviques à plusieurs reprises. C’est eux qui ont gagné pour un bon bout de temps mais finalement cette ville est restée ce qu’elle a toujours été. Elle n’a jamais perdu son charme, son humour, sa joie de la vie, sa liberté, peu importe les autorités qui l’envahissent ou qu’elle accepte volontairement.

Quand j’y pense, je me demande à quoi elles servent ces guerres, à part satisfaire quelques égos bien gonflés. On dirait même que c’est une obligation de faire des guerres avant de se foutre la paix, de se concentrer sur soi-même et de foutre la paix aux voisins. On dirait que c’est une étape au cours de l’évolution tout simplement. Et bien, si c’est comme ça, vu qu’il existe  encore des tribus, ce n’est pas gagné la paix dans ce monde. Les peuples s’engueulent, se font des guerres et après, quand on s’est bien amusé en s’entre-tuant, on devient amis, partenaires, tout ce qu’on veut. Pas comme si de rien n’était, non. Les horreurs qu’on a causé l’un à l’autre, on ne les oublient pas. Mais on grandit et on comprend finalement qu’une guerre ne va jamais rien apporter de définitif, pourquoi donc les commencer.

Regardez, par exemple, maintenant, les anglais et les français, les français et les allemands, les ukrainiens et les polonais, et même les allemands et les juifs.

Il n’y a jamais de victoire dans une guerre, peu importe le papier qu’on signe en lui mettant une fin. Et une fois signé, c’est là que le vrai travail commence, c’est là qu’on a le choix d’en faire une autre ou de ne jamais répéter ce cauchemar. L’Ukraine et la Russie, que leur conflit dure encore un an ou trente ans, ont tous les deux cette chance de grandir, d’apprendre chacun sa leçon, une fois la paix est signée.

Et j’espère de tout mon cœur que malgré le mal qu’on traverse, malgré la haine qu’on a eu, on saura être digne de cette chance et cette guerre sera la dernière. L’Ukraine je pense y mettra moins de temps. Et à mon avis c’est même les Ukrainiens qui vont finalement apprendre aux Russes ce que c’est que la liberté et la dignité, la vraie.

D’ailleurs, afin qu’ils ne le montrent pas, Poutine a commencé tout ce bordel en 2014. Pour éliminer cet exemple de liberté, si proche du pays, qu’il a occupé avec sa bande de voleurs. Qu’il a occupé pas forcément parce qu’il le voulait, mais une chance s’est présentée et il l’a prise. Les gens se taisaient. Ils s’en foutaient un peu. Pas tous, mais la plupart. Ceux qui avait un mot à dire, il les a réduits au silence.

Et c’est bien dommage qu’il ait choisi cette voie de profiteur et s’est servi de cette chance, de son pouvoir et de l’argent venant des ressources pour plonger son pays dans le sang, au lieu de s’en servir pour en faire un pays riche en tout : argent, innovations, niveau de vie, niveau d’éducation et surtout, liberté de l’esprit. Il aurait pu, mais il n’a pas voulu. C’est un peu plus compliqué, mais ce n’est qu’une question de choix tout compte fait. Il ne manque pas des exemples de pays qui ont su le faire.

En fait, il aurait pu être un vrai héros de la Russie, et son égo serait sûrement beaucoup plus satisfait, mais c’est trompeur un égo. Et quand c’est gonflé, il faut être très fort pour ne pas le suivre. Maintenant on voit tous cette vérité bien triste. On en subit les conséquences, peu importe si on le veut ou pas. On est bien obligé.

Mais je ne perds pas l’espoir de revoir mon pays de naissance bien guéri. Dans quelques années, dans vingt ans, dans trente ans. Plus ? Ça va arriver un jour. Et d’ailleurs, le mot guérir, ne serait-il pas lié en quelque sorte avec le mot guerre ?

En attendant, vu que j’ai eu la chance de me retrouver du bon côté, j’en profite pour faire tout mon possible en aidant les gens que je peux, en m’occupant des projets humanitaires, c’est mon petit refuge, une raison de plus pour survivre et même si ce n’est pas beaucoup, compenser un peu le mal, causé par le pays d’où je viens. Pas parce que je me sens responsable, je le suis bien sûr, comme tous ceux qui n’ont pas fait assez pour empêcher ce bandit d’agir de cette façon, mais parce que c’est le moyen d’apporter du bien à ce monde.

Je ne sais pas si je suis guidé par mon égo, ou par quelque chose d’autre, mais je sais que je ne pourrai plus m’en passer. Je ne pourrai pas ne pas faire de projets humanitaires, en Ukraine ou ailleurs. Et même n’ayant pas les ressources telles que poutine, il faut essayer, car les gens méritent qu’on leur fasse du bien, surtout quand ils en ont besoin. Si on peut le faire, il faut le faire, ne pas hésiter, ne pas se trouver des excuses. Et les Ukrainiens en ce moment, ils ont vraiment besoin de l’aide.

Les aider c’est même un investissement, un bon placement d’argent et de temps. Parce qu’ils savent distinguer les choses, ils savent apprendre, ils sont talentueux et novateurs et ils aiment bien la vie. Et maintenant en plus, ils savent le prix de la liberté. Et ils vont profiter de cette liberté pour donner au monde plus de bien que de mal, croyez moi. Et puis, ensemble on est beaucoup plus forts.

Ensemble, on arrive à traverser les épreuves qui des fois peuvent sembler impossibles à surmonter. Ensemble, on est invincibles pour de vrai.

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