Le Fin Mot | Épisode 1
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Bientôt deux ans de guerre en Ukraine. Vous vous souvenez toujours, qu’il y a une guerre ici ? C’est vrai qu’ avec tous ces conflits qui fleurissent on se sent un peu abandonné. Mais bon, au moins on a eu droit à une belle promotion au tout début, ça va. On a été les premiers, c’est un privilège, donc, contentons-nous de ce qui est à nous. En plus, tout le monde a finalement compris où il se trouve, plus ou moins, ce pays slave, dont les ressortissants, à l’étranger, ont souvent été traités de russes. Maintenant c’est même pire qu’une insulte, y compris pour les vrais Russes à l’étranger. Bref, on continue à se battre, tout doucement, on s’entretue. Chaque jour, chaque seconde. C’est devenu aussi naturel, que de payer son loyer ou de s’acheter de la bouffe au supermarché. Tu y vas, tu achètes, tu consommes, tu jettes, tu y revas, et ça dure. Et puis, deux ans, c’est quand même de l’expérience, non? Dans ce monde où on achète facilement sur Instagram des cours vite fait sur n’importe quel sujet, créés par n’importe qui, qui nous promettent de maigrir, de devenir riche, de devenir développeur en quelques semaines, je ne serais pas étonnés de tomber sur un cours qui explique comment vivre dans un pays en guerre. Parce que, avouez-le, les guerres, en ce moment, c’est en demande. Ça se multiplie, comme des chats, qu’on n’a pas eu le courage de stériliser (je sais de quoi je parle, j’en ai sept, alors qu’il n’y en avait qu’un seul au début). Donc, autant prendre la chose en main et marquer le territoire. On va étudier la vie en guerre sous tous les angles. Vous allez tout savoir, vous allez devenir viveurs en guerres professionnelles, accrochez-vous.
Je sais que je vais être copié, comme tout pionnier, du coup je ne compte pas trop sur les droits d‘auteurs, surtout avec une longitude de vie incertaine et n’ayant pas encore de descendance, mais les dons, c’est jamais de refus, on en fait de belles choses sur place. Ça équilibre un peu la connerie et la corruption qui font que la brave armée ukrainienne au bout de deux ans et malgré les aides quand même reçues par les politiques est toujours obligée de faire la manche pour se vestir, pour s’acheter des médicaments, pour carrément tout. Sans parler des civils, qu’on essaie de livrer régulièrement, qui ont fui les zones rouges et qui n’ont plus rien.
D’ailleurs, c’est intéressant d’analyser un peu cette évolution de l’humanitaire en Ukraine au cours de deux ans de guerre. Au début, non seulement on répondait à chaque collecte, sans même trop se demander de quoi il s’agissait, mais on appelait les gens pour savoir s’ils n’en font pas une de plus, eux aussi, auxquelles on pourrait participer. On se foutait complètement de l’argent dépensé, on ne réfléchissait pas, on savait que c’était indispensable. Et l’argent se trouvait toujours. On sentait que c’était une question même pas de vie ou de mort, mais de l’honneur, de dignité, de propreté même, d’hygiène. C’est le cœur qui agissait (lui il sait tout, celui-là, sans explication). Et il n’y avait pas de règles. Pas besoin de papier, pas besoin de taxes, rien. Tu achètes, tu amènes, tu donnes et ça recommence. J’en connais un bénévole français qui est entré en Ukraine par une des douanes officielles, sans passeport. Pour tout vous dire, au bout de deux ans, ce même français est embêté par la même douane à cause d’une voiture française, qu’il a donné à l’armée à l’époque et pour laquelle il doit payer maintenant les taxes, parce qu’elle a passé, cette voiture, trop de temps sans sortir du pays, et c’est redevenu illégal. Pour distribuer de l’aide, maintenant, il faut aussi des papiers, beaucoup de papiers. Encore plus, pour en recevoir, surtout quand la demande vient des militaires. S’ils ont besoin de quelque chose, surtout des médicaments, on les livre en cachette, parce que officiellement ils n’ont plus le droit de demander aux gens, alors que l’État ne leur donne toujours pas tout ce qu’il leur faut. Et maintenant, quand on zappe les stories sur facebook et instagram, quand on tombe sur une collecte, même si c’est celle d’un ami, très souvent on la zappe aussi. Sans dire un mot, avec un sentiment amère, comme quoi allez, courage, je crois en toi, tu vas réussir, j’en ai 5 moi aussi de collectes, c’est lourd, je sais, ça rame, on fait ce qu’on peut. Maintenant c’est le contraire, c’est les bénévoles qui écrivent souvent aux gens pour leur demander de participer à leur mission. Les bénévoles, d’ailleurs, il y en a de moins en moins. Normal, vous direz, au bout de deux ans. Ils se sont usés, ils sont fatigués. Et puis au début, c’était le choc surtout. Oui. Mais ça a aussi été l’absence totale de bureaucratie, la disparition absolue des politiques et de paperasse, qui a rendu possible l’unité des gens en peu de temps et d’une énorme efficacité.
Cette unité des gens, qui était une flamme, qui a brûlé les meilleurs soldats de l’ennemi au tout début, qui les a rejetés d’une force incroyable, inattendue, elle couve encore. Tout doucement. Elle brûle toujours les soldats de l’ennemi, pas les meilleurs, mais on ne va pas se plaindre de la qualité du bois, quand on a froid et peu d’argent.
Cette petite flamme encore présente, ne les jette plus trop, par contre, les soldats de l’ennemi. Beaucoup d’erreurs sont faites et ne sont toujours pas corrigées. Le seront-elles, reste à savoir, mais une chose est claire, l’ennemie a changé de stratégie, il s’est adapté, et il est prêt à investir le temps, l’argent et le nombre de gens, qu’il faudra. La dernière fois qu’ils ont fait pareil, ils sont allés jusqu’à Berlin, j’ai l’honneur de vous le rappeler. En Russie d’ailleurs, on ne parle pas de la deuxième guerre mondiale, on parle de la Grande Guerre Patriotique, qui a commencé, pour les Russes en 41. On ignore un peu, que deux ans avant on a signé un petit pacte avec Hitler et qu’on était bien content de partager la Pologne avec lui en 1939, qu’on a aussi bouffé un petit morceau de Finlande peu de temps après (et qu’on en a pris plein la gueule au tout début, ce qui a permit, aussi, de changer de stratégie, de mieux se préparer pour la suite, mais on préfère de ne pas trop en parler, c’était un peu la honte, quoi). Vous voyez comme ça commence par des petites annexions de territoires sous les yeux du monde entier, qui s’inquiète, qui observe, qui essaie de communiquer, de trouver une solution diplomatique, et comme ça se transforme en une horreur totale. Et allez savoir, comment ils vont appeler, les russes, ce qu’ils font maintenant, s’ils atteignent leurs objectifs qui ne se limitent pas, ça devient de plus en plus évident, à l’Ukraine. Ils arrivent très bien à mobiliser les gens. Au début, ils se sont servi de l’armée professionnelle et des cons qui ne comprenaient pas trop, ils ont aussi fait fuir tous ceux qui étaient plus conscients et contre cette guerre, en leur mettant sur les épaules le risque d’être mobilisé. Maintenant, au bout de deux ans, ils achètent tout simplement les nouveaux mobilisés en leur proposant au départ des milliers de dollars, qu’ils n’ont jamais vus, qu’ils ne verraient jamais dans d’autres conditions (la pauvreté, ça fait partie de leur politique depuis des années). Ils meurent par paquets, ceux-là aussi, ils ne sont pas professionnels, c’est entendu, mais ils sont motivés. Par la propagande un peu, mais surtout par l’agent. Et ils sont nombreux. On n’y peut rien. Ils ont trouvé la bonne combine au Kremlin. Ça devient à la mode de s’engager en Russie. Alors qu’en Ukraine, c’est tout le contraire. Les motivés, il n’en reste pas beaucoup, et ils sont très fatigués, non seulement par la longueur de leur service, mais aussi par la stupidité des politiques, qui ne font qu’empirer les choses. Tout comme ça marchait avec l’humanitaire, au tout début, ça marchait avec l’armée. Il y avait des queues pour s’engager, certains essayaient d’utiliser leurs connaissances pour pouvoir s’engager, tellement l’offre dépassait la demande. Les armes, on les distribuait à tout le monde rien qu’ayant identifié la personne, tellement la confiance entre l’État et les gens était naturelle, tout puissante. Et ils l’ont protégé, l’État, ces braves gens, au tout début. Ils ont aussi protégé, par conséquence, ce système pourri, qui a rendu cette guerre possible, qui a déshabillé l’armée ukrainienne au bout de 30 ans d’indépendance. Cette armée, même toute nue, a pu résister, malgré tout, et petit à petit le système est revenu et a commencé à remettre ces métastases. Pour les militaires, maintenant, il ne s’agit plus d’un seul front, il y a bien un autre qui fleurit, de l’intérieur. Ils commencent à ne plus comprendre pourquoi, pour quel pays ils se battent, quand ils voient cette insolence des corrompus, malgré la guerre, quand ils voient leur façon de mobiliser les gens, les attrapant dans des endroits publics, dans le transport public, se servant en plus de l’uniforme de l’armée. Ça ne donne pas non plus envie de s’engager, pour les mêmes raisons. Il y a deux ans les militaires étaient les héros, on leur montrait son respect, on était heureux de les croiser et de pouvoir les remercier personnellement. Maintenant on les fuit. Au cas où. Les hommes sortent de moins en moins. Parce qu’en plus de ça ils savent très bien ce qui les attend au front. À part le manque de tout dans l’armée, l’obligation de laisser sa famille sans protection financière et la mettant en plus en situation de mendiant, parce que l’État ne va pas tout leur donner pour qu’ils puissent faire proprement leur nouveau métier, c’est les membres de sa famille qui vont être obligé de faire des collectes d’argent sans arrêt, mois après mois, à part tout ça ils savent très bien qu’ils vont y aller pour toujours. Que leur vie actuelle va s’arrêter là. Qu’ils vont y être jusqu’à leur dernier souffle ou jusqu’à une blessure très grave qui les empêchera de revenir au front. Comment changer tout ça ? Je ne sais pas, mais les discussions et les propositions n’arrêtent pas d’être prononcés même par des gens assez connus et respectés, et les politiques, pour le moment, ne font rien, si on regarde de plus près. Rien de beau, en tout cas.
Les déserteurs, d’ailleurs, comme les politiques appellent les gens qui ont réussi à partir à l’étranger, se demandent aussi, pourquoi devraient-ils revenir. Des millions de gens sont partis dont une grande majorité ne va jamais revenir, surtout, quand leur pays, au lieu de les attirer, les menace de privation de droits. Beaucoup de familles sont déchirées en plus à cause de l’interdiction de sortir du pays pour les hommes. C’est long. Et puis, elles sont quand même belles les Ukrainiennes, qu’est-ce qu’on peut y faire. Tôt ou tard… c’est la vie. Et les enfants, revenir avec les enfants sous les bombes ? N’ont-ils pas eu assez de stress comme ça dans leur courte vie qu’il faut en rajouter le risque de mourir sous un bombardement? Ou alors, pensent-ils vraiment, les politiques, que les alertes et les explosions pratiquement quotidiennes, c’est bon pour la santé des enfants ? Bref, les problèmes ne font que s’aggraver au bout de deux ans. La stupidité des politiques dépasse bien les bornes, et non seulement en Ukraine. Désolé, si, parmi vous, il y a des hommes et des femmes politiques, désolé si cela peut vous paraître malpoli ou indécent, mais je trouve encore moins poli et plus indécent et surtout pas honnête de ne pas protéger vos électeurs, qui vous ont choisi, d’un danger qui devient de plus en plus inévitable. Je m’excuserai publiquement, si je me trompe, mais pour l’instant, je vois que si l’Ukraine tombe, Poutine ne va pas s’arrêter. Il va menacer ou faire la guerre tout court, mais il va continuer, il a de quoi et il est prêt à tous. Et vous, vous continuez de faire du business avec lui, tout en vous laissant aller sur les russes qui se sont réfugiés chez vous, qui ont fui le régime de Poutine. Vous avez fermé les yeux, quand il a annexé la Crimée et quand il a déclenché le conflit au Donbass, d’accord. Le mémorandum de Budapest, bien sûr, est très discutable, tout comme le fameux article 5 du traité de l’Otan, d’ailleurs. Je ne sais pas dans quel état se trouve votre défense, et j’espère bien que je ne le saurai jamais, que je n’aurai pas l’occasion de connaître cette vérité de polichinelle. Mais pensez au moins, à vos enfants à vous. Et faites au moins quelque chose, avant qu’il ne soit trop tard. Auparavant, il suffisait de fournir à l’armée ukrainienne les armes nécessaires pour que le problème soit résolu. Maintenant, il faut au moins, s’en remplir les poches soi-même. Ou faire les deux, pour minimiser le risque. Au choix. Et il ne faut surtout pas trop compter sur les traités. Ils sont souvent mal interprétés. Désolé pour le constat. Sinon, vivre dans une guerre, on peut. Et très bien même. Les alertes et les explosions, au bout de deux ans, on commence même à les aimer. Elles ont quelque chose d’excitant ces sonnettes et ces boums qui à la fois vous font peur et vous chatouillent à l’intérieur. Certains disent qu’il ne peut pas y avoir de vie, mais au contraire, elle sort de partout, on la reconnaît dans chaque petite chose, on l’admire de plus en plus, on ne s’inquiète plus au bout d’un moment et on essaye de profiter de chaque instant, le vivre à fond. Ne pas s’offrir à la routine, à l’inertie, agir, créer, inventer. Aimer. Pour de vrai, aimer la vie, la nature, les êtres humains, nos occupations, notre passé et notre futur, nos succès et nos défaites. Tout. Sans juger, sans attente, rien que pour exprimer ce sentiment merveilleux. Doux et passionné à la fois. Silencieux, mais qui veut tout dire.
Titulaire du compte | Antoine Gerard Claude Gautheron |
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