Les Couleurs de l’Info : Ép. 2
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Je dors sans arrêt depuis une dizaine de jours. Le sommeil incontrôlé est mon petit moyen pour digérer ce qui n’est pas trop comestible, qu’on est quand-même obligé de l’avaler, vu qu’il n’y a rien d’autre. Ça ne donne pas de rêves lumineux, ils sont plutôt bizarres et délirants, mais ça permet de faire un trie, en quelque sorte, de ranger, d’éplucher la vérité de l’hypocrisie, de creuser au plus profond de soi pour retrouver ne serait-ce qu’une petite source de sens pour l’avenir, car très déshydraté, assoiffé de bonnes nouvelles. Bien perdu dans ce qui se passe. Il se passe des choses bien sûr, mais à la fois, il ne se passe rien. Rien de nouveau, ni à l’ouest, ni à l’est.
Ça devient de plus en plus évident que les deux côtés du globe se sont servis de l’Ukraine pour en faire leur ring et, c’est tout naturel que ce ne soient pas les managers qui se battent. Eux, ils font leurs affaires comme si de rien n’était. Il peut y avoir des gens bien, parmi les managers, tout comme des truands, ça importe très peu. Ce n’est que du business, alors trêve de sentiments, chacun son rôle. Il fallait naître ailleurs, grandir autrement ou fréquenter d’autre milieux, pour ne pas se retrouver sur ce ring. Maintenant il faut bien que les spectateurs ne s’ennuient pas trop, car c’est eux qui payent, tout compte fait. Je ne sais pas si on va compter aux points, ou s’il faut s’attendre à un KO.
Ce combat, il y a peu de doute, est arrangé, orchestré le plus possible, mais on ne peut jamais contrôler à 100 pour cents. Et orchestré ou pas, les blessures sont bien réelles. Il faut croire qu’on va soigner celles qui sont soignables, s’il n’y en a pas une de fatale bien sûr, mais pour l’instant, ce combat est loin d’être fini. Pourtant, on aurait bien envi qu’il finisse car on est bien épuisé. Je dirais même, qu’il finisse d’une façon ou d’une autre, même si on sait que ce ne sera pas le dernier, même si on sait que les objectifs constitutionnels ne semblent plus réalisables pour l’instant, après tout ce qu’on a traversé, après tout ce qu’on a eu et surtout, après tout ce qu’on n’a pas eu.
On espère que ne serait-ce qu’une petite pause ne nous fera pas de mal, mais va savoir. Même si on arrive à s’en procurer une après ce sacré 5 novembre dont on n’arrête pas de s’imaginer des conséquences, c’est loin d’être exclu qu’elle sera trop courte pour que l’Ukraine ait assez de temps et d’intelligence pour se soigner comme il faut et surtout pour se préparer à la revanche.
Alors, vous voyez, ma dépression est bien méritée, et je ne suis pas le seul. Beaucoup de personnes en Ukraine se sentent désespérées. Ils n’avaient pas d’embarras de choix, ils étaient sur ce ring sans le vouloir, ils ont été attaqués, on leur a promis des choses par contre, mais une fois sur le ring c’est un peu le système D. Et encore, il faut balancer entre essayer de sauver sa peau et respecter quelques arrangements des autres avec celui qui t’agresse.
C’est-ce qui arrive, quand on n’est pas libre de décider de son sort, quand on est dépendant, surtout financièrement. Il y a le risque presque inévitable d’être manipulé. J’espère que ce n’est plus souvent le cas de nos jours, mais dans notre passé pas trop éloigné c’était bien courant et surtout normal que les parents décident du sort de leurs enfants, s’agissait-il du mariage, du choix de profession ou des fois même pire.
Le froid d’ailleurs commence à nous rendre ses petites visites régulières. Chaque soir il est là. Je suis assez content des nouvelles fenêtres, elles gardent bien la chaleur, je les ai installées après que l’une s’est cassé suite à un bombardement dans le centre-ville. Comme quoi, il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien. J’avoue que je me serais bien contenté des anciennes si on pouvait éviter ce bombardement et les autres aussi.
J’aime bien cette fraîcheur revenue, elle attire des souvenirs de l’hiver, qui ne va pas tarder à son tour, ça me rappelle la neige et ce sentiment quand on a froid dehors mais on sait qu’une fois rentré, on aura chaud et alors là, ce contraste, c’est un pure bonheur. Souvent ce contraste est accompagné des fêtes de fin d’année, ce qui rend cette période un peu magique à chaque fois malgré les circonstances.
Mais bien sûr, on sait que l’hiver nous réservent aussi quelque chose de moins joyeux comme, par exemple, les coupures d’électricité qui semblent inévitables même si les voisins ne bombardent pas l’infrastructure, car le manque, causé par les attaques précédentes, est tellement énorme, qu’on ne pourra pas satisfaire la demande.
Ce n’était pas facile cet été, mais au moins il ne faisait pas froid, on pouvait sortir, se promener, planifier plus ou moins ces activités en fonction des coupures. En hiver ce n’est pas trop le cas. Moins de choses sont possibles sans électricité et on ne sait pas encore à quel point l’énergie est endommagée. Heureusement que beaucoup d’établissements ont leurs générateurs, j’espère surtout que les cliniques et les maisons de retraites en ont, car autrement ça va être une catastrophe encore une fois. Bref, on espère bien sûr le meilleur mais on se prépare surtout au pire.
Il n’est pas exclu que les coupures vont durer pendant des jours donc il faut prévoir quelques réserves d’essence, de la nourriture qui se cuit en très peu de temps, des lampes, des batteries, des couvertures et tout ça. Je ne sais pas ce qui se prépare du côté des compagnies énergétiques, si ça se trouve ils ont pu réparer quelque chose avec l’argent des prix augmentés de 3 fois, mais on a des doutes. Et oui, les prix ont bien grimpé et malgré la guerre et l’interdiction de couper quoique ce soit, si on n’arrive pas à payer à temps, on coupe le courant.
N’empêche que, ça fait réfléchir avant d’allumer une lampe de plus et ça fait ne pas oublier de l’éteindre quand on n’en a plus besoin. C’est plutôt une bonne chose pour l’intérêt général, j’imagine ? Ça permet d’économiser ? Je ne sais pas, par contre, comment les retraités, par exemple, sont censés payer leurs factures alors qu’elles dépassent bien ce qu’ils reçoivent comme retraite. Ça, on ne l’explique pas. Peut être que les retraités ne font pas partie de l’intérêt général, vu que ce sont les jeunes qui financent les retraites à travers les impôts. Et les jeunes qui travaillent, il y en a de moins en moins. La peur de mobilisation, l’économie qui part en vrille et tout ça, des petits inconvénients de guerre, quoi.
Je suis complotiste bien sûr, il faut s’éloigner des idées pareilles. On va s’en sortir, n’est-ce pas. Enfin, peut-être. On garde l’espoir. Il faut tenir bon. Je ne dirai pas tous ensemble, car ce n’est plus le cas. Et si ce n’est pas à cause de ces histoires de langues et de monuments démontés, de noms de rues qui changent sans arrêt comme s’il n’y avait rien d’autre à faire, ce sera tout simplement parce qu’on n’a plus grand chose à partager les uns avec les autres.
On survit, littéralement. La population survit comme elle peut, le gouvernement survit comme il peut. L’humanitaire, n’en parlons plus. Le financement de l’armée, je me tais. Les méthodes de mobilisation, tandis que certains hauts placés se remplissent les poches, je ne saurai guerre décrire quelle fausse commune ça nous creuse entre l’état et la population.
Espérons juste qu’on ne va pas tous glisser dedans.
On ne peut pas arrêter. Ça ne dépend pas de nous. Donc on continue. Mais on ne sait plus où on va exactement. Pour ne pas dire que l’on le sait, qu’on ne veut pas y aller, mais qu’on y va quand même. Tout comme dans cette chanson du groupe Kino, cinéma en français. Bien symbolique pour moi le nom du groupe, tout comme la chanson, car après bientôt 3 ans j’ai toujours l’impression qu’on vit dans un cinéma sans fin. Sauf qu’au début toute cette guerre me paraissait surréaliste, pas normale, et maintenant je pense plutôt à comment nous l’avons menée jusque là.
Je dis nous, je ne parle pas seulement de ceux qui sont à l’intérieur du pays. Je dis nous et je pense aussi à tous ceux qui ont bien caché leur jeu en promettant des armes et en les donnant à gouttes d’eau pour seulement faire durer. Je dis nous et je pense à tous ces crimes de guerre qu’on a laissé se produire, à tout ce massacre au front qui continuera, j’en suis sûr, jusqu’à la dernière minute de la guerre, sans un but précis, car ça n’avance d’aucun côté, ça ne fait que durer.
Je dis nous et je pense au monde entier qui continue à faire des affaires avec un terroriste, qui a occupé le pouvoir dans son pays, qui essaie d’occuper un autre pays en plein Europe, qui en a déjà occupé une parti, qui tue régulièrement des civils, à ce monde entier qui en même temps se prends aux ressortissant de ce pays qui ont fui cette dictature. C’est facile, hein, ils sont chez vous et l’autre il se cache dans ses résidences. C’est facile aussi, d’interdire aux ukrainiens de taper où ils veulent, c’est vous qui leur donnez les armes, même à goutte d’eau.
Je dis nous, et je pense aussi à tous les fonctionnaires qui s’enrichissent pendant cette guerre, au lieu de consacrer tous leurs efforts à la cause qu’ils déclarent être la seule possible : regagner les frontières de l’année 1991. Ou peut-être qu’ils parlent du mois de juillet, avant l’indépendance ? On commence à se douter.
Bref, on continue seulement parce qu’on ne sait pas comment arrêter, comme si on était dans un train qui va sûrement dérailler tôt ou tard, parce qu’on n’a pas le contrôle et la vitesse qu’il a pris en haut de cette montagne de mensonges ne fait qu’augmenter.
Ce n’est pas nouveau tout ça. Il n’y a rien de nouveau ici. On découvre juste chaque jour un peu plus de ce qui était présent dès le début. Mais ça m’étonnera toujours. Comment pouvons-nous être hypocrite à ce point ? Je dois peut-être arrêter de dire nous dans l’avenir, car ça n‘a plus de sens. Chacun son intérêt, j’imagine.
Dans toute cette tension et incertitude, on se demande si l’Ukraine va pouvoir résister tout compte fait. Elle est tellement pesante cette tension, qu’on ne fait plus de projet à long terme. On se contente de ce qu’on peut faire aujourd’hui et demain et peut-être après-demain.
On attend toujours le 5 novembre, histoire d’attendre au moins quelque chose. On a compris qu’il ne s’agit plus de victoire totale. Certains espèrent et y croient, par habitude, mais ce ne sont surtout pas les militaires au front. Ceux qui sont au front sont un peu plus renseignés, je pense.
Les mots, les grandes paroles sont de moins en moins écoutés. Le patriotisme est de moins en moins indiscutable. Je ne sais pas, si l’Ukraine va résister en tant que pays actuel. Mais je suis certain, que la volonté, la créativité et l’âme des Ukrainiens, survivront à tout ce cauchemar.
Ce n’est pas les frontières des années 1991 qui m’ont attiré, quand j’ai trouvé mon refuge ici. Ce sont les gens, les personnes, les personnalités. J’espère juste que tous ceux qui se sont bien servi de ces maudites frontières sauront un jour s’excuser.
Ce sera la moindre des choses, après tant de tragédies humaines.
Titulaire du compte | Antoine Gerard Claude Gautheron |
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