Les Couleurs de l’Info : Ép. 8
- Commentaires
- Partager
- Sonorisé
Les beaux temps sont revenus. Je parle du soleil. C’est agréable. Moi, né en Russie, je n’ai jamais supporté le froid. Dire que le lieu de naissance et la nationalité doivent nous dicter nos habitudes… Heureusement que l’hiver est parti. Parti pour revenir, on le sait, mais cette trêve de quelques mois, nous fera sûrement du bien. Cette trêve là, au moins, et pour les autres, on verra, ça ne dépend pas de nous. On ne peut que faire le nécessaire : soutenir l’armée avec le peu d’argent qu’il nous reste (il leur manque toujours des trucs), se cacher à la maison, pour pas aller au front (ce serait bête d’aller crever dans une tranchée au dernier moment, n’est-ce pas, quand tout le monde parle d’une paix ou d’une trêve qui ne vont pas tarder), mourir sous les bombardements de plus en plus cruels d’ailleurs (ce n’est pas Berlin des années 40, mais quand-même, et puis, c’est pas nous qui avons commencé, enfin, certains croient que si, mais enfin, voyons, bref). Essayer de survivre avec le peu de moral qu’il nous reste, c’est aussi important. Sinon qui vivrait ici après, pourquoi tout ce massacre, si personne ne va profiter des résultats. Tout finit par finir, n’est-ce pas, et on a eu des beaux exemples dans notre passé dont certains, d’ailleurs, se servent pour nous expliquer notre avenir. Ah, dans les médias et les conversations qui les suivent par manque de sujets et par abus d’espoir, on dirait que c’est un cours d’histoire. Qu’est-ce qu’on trouve comme références ! Mais bon, malgré toutes ces suppositions, il est difficile maintenant de ne pas croire que cette année est probablement le dernier épisode de cette saison pour l’Ukraine. Personne ne nous garantit que cette saison sera la dernière, par contre. Un bon cinéaste, il laisse toujours une chance pour la suite, il sème toujours des doutes comme quoi, ce n’est pas fini, pour pouvoir re-commercialiser le succès de sa série quand le public sera de nouveau prêt. Peut-être pas mais, il met jamais le point. En parlant des séries, une auditrice m’avait demandé des références pour les musiques que vous entendez toujours au début de nos chroniques. J’adore cette intro, c’est Françoise Wallemacq qui l’a faite un jour en s’amusant avec des morceaux, et ça a donné ce qui est pour moi très symbolique. À part Vladimir Vysotsky, qui était la voix du peuple de l’époque soviétique, avec l’une de ses rares chansons en français (merci à l’amour qui brisait souvent les frontières même soviétiques), cette chanson est sur la guerre en plus. Et un morceau magnifique d’un group ukrainien, Océan d’Elsa, qui est très mérité une fierté nationale, un phénomène, une source de poésie, dont je ne comprenait pas un seul mot il y a 10 ans, mais que j’écoutais déjà à cette époque dans mes promenades nocturnes en voiture à Moscou, développant petit à petit mon amour pour ce pays. Moscou, qui avait déjà commencé, petit à petit aussi, ce massacre, dans lequel nous vivons. À part ces deux morceaux, il y en a un qui est plus que symbolique pour tout ce que j’ai la chance de dire ici. C’est la bande originale de la série qui s’appelle Serviteur du peuple avec Zelensky dans le rôle du président, élu par accident, élu pour son discours ouvert, un homme du peuple que le peuple a choisi pour enfin démonter le système pourri dont lui, homme du peuple, voix du peuple se plaignait dans son discours. Si vous voulez comprendre ce qui se passait en Ukraine depuis l’indépendance et ce qui se passe toujours, d’ailleurs, plus ou moins, car ce système a même survécu à la guerre, je vous conseille. Zelensky et les autres, ils jouent très bien, c’est une belle série. Elle a même influencé, je pense, en quelque sorte, ma décision de partir précisément ici, car, comme les ukrainiens, j’y ai vu une sorte d’espoir, que je n’avais plus pour mon pays d’origine. À part la pourriture du système, qu’ils ont démontré dans cette série, ils ont aussi montré un avenir pour l’Ukraine. Un croquis, mais, c’est mieux que rien. Il n’y a jamais vraiment eu de projet d’avenir pour ce pays. Si vous regardez les promesses de tous les présidents élus depuis l’indépendance, c’est toujours la même rengaine. Ça n’a jamais rien eu d’un avenir, que du passé, que du traitement symptomatique, alors qu’il fallait opérer d’urgence. Et là, d’un coup, une goutte d’eau fraîche dans ce désert de désespoir, mais bien sûr qu’on l’a dévoré cette goutte, bien sûr, qu’on l’a élu, Zelensky, dans la vraie vie. On a cru à ce compte de fées. Enfin, on, les ukrainiens je veux dire, mais même les russes qui rêvaient d’un autre avenir pour la Russie que celui qu’on a connu avec poutine et sa clique, on était fiers des ukrainiens, on croyait en leur réussite. Poutine aussi, je pense, il a dû avoir peur de ces élections, de ce choix, du choix même. Il a pas l’habitude, chez lui tout se passe autrement, des petites combines. Il vivait un peu dans le passé, lui, quand il croyait qu’il allait envahir l’Ukraine en 3 jours et être accueilli avec des fleurs. Il ne faut jamais croire à sa propre propagande, ça te détache de la réalité encore plus que tes châteaux et bunkers. Bref, c’est très rare que tout se passe comme prévu. Surtout dans le cas de l’Ukraine… Je me suis retapé la première saison de cette série et quelques épisodes de la deuxième. Ça m’a fait du bien, c’est bien rigolo, bien fait et pas du tout méchant, ça m’a permis de m’oublier pour un moment. Pour me briser encore plus le cœur après, quand j’ai ouvert instagram pour répondre à un message et quand j’ai vu, comme pratiquement chaque jour, de nouvelles photos des victimes, des adultes et des enfants, des vies brisées encore une fois, arrêté en plein vol, dans leurs lits, dans des bus, dans la rue, dans le terrain de jeu, et cetera, et cetera, et cetera. Bien bonjour, réalité chérie.
J’ai bien envie d’arrêter de me répéter sur les bombardements. Je trouve toujours je ne sais pas où les mots et les phrases différentes, je ne cherche même pas, ça vient tout seul, ça coule malgré moi, comme le sang que tu ne peux pas arrêter parce que tu ne peux pas boucher le trou dans ton corps, il s’ouvre encore et encore. Mais à vrai dire, il n‘y a jamais rien de nouveau, ce n’est jamais différent. Quelque chose te tombe dessus, cadeau du ciel, et voilà t’es mort. Ça peut être n’importe qui, personne n’est à l’abri, ni dans la rue, ni dans les shelters, ni chez soi, sans parler du front, qui est un désastre sans pause. Si je m’arrête, sachez que ça continue, au quotidien, et si vous voulez suivre, il y a des chaînes telegram dans pratiquement chaque ville d’Ukraine, c’est facile à trouver. On y annonce des alertes aériennes et les directions possibles, les types d’engins qui nous rendent visite, bref, c’est tellement une routine que même le nombre des morts, adultes ou enfants ne fait pas plus de mal qu’on n’en a déjà, quelque part au fond de nous. C’est un cauchemar, certes, mais on fait avec. Et on n’attend que ça se termine, étant conscient que l’après-guerre ne va pas être facile non plus. Les russes, ils vont se préparer au deuxième round ou non, c’est leur problème. Ça aurait été la nôtre si… armes, volonté des partenaires, capitulation de l’agresseur, etcetera, etcetera… Beaucoup de si, on en a déjà parlé. Mais peut-être tant mieux, on ne peut pas savoir d’avance. La victoire, ce n’est surtout pas sur le champ de bataille, là il n’y a que des cadavres et des mines. La vraie victoire, on l’a ou on ne l’a pas après que les canons se taisent. S’il n’y a pas de meilleure avenir pour ceux qui sont resté en vie, ceux qui sont mort, il n’auront même pas droit à cette petite récompense, s’il peut y avoir une, qu’on met souvent dans une phrase qui fait vibrer quelque chose à l’intérieur, qui fait pleurer notre âme : ils ne sont pas mort pour rien. Ça veut rien dire, mais ça veut tout dire. C’est à l’Ukraine et non à l’Europe ou aux États Unis ou à quelqu’un d’autre de décider de l’avenir de ce pays. Prenant en compte, la tête froide, tout ce qui s’est passé. Étudiant, minutieusement, les causes de cette guerre et les causes de tous les problèmes qu’on a eu pendant. Si on retombe dans le populisme, au lieu de parler des faits et des chiffres et des solutions possibles encore une fois, c’est qu’on n’a rien appris. Si on retombe dans des slogans, au lieu de communiquer ouvertement, sans se radicaliser dans nos convictions, respectant d’avance chaque vie humaine, qui nous a fait l’honneur de naître ou de venir vivre ici, c’est qu’on a perdu d’avance notre avenir. L’avenir, qui lui seul, pourra nous dire, si on a perdu ou gagné. Les traités, les accords, les papiers, ça ne sert à rien, s’il n’y a rien derrière. Vous avez sûrement déjà vu du papier peint sur un mur moisi, ça ne tient jamais. Moi, russe en Ukraine, je vais probablement partir prochainement, si la procédure d’asile ne donne rien. Je n’aurai donc pas de conseil à donner à part étudier de plus près le système juridique, car j’ai assez donné pour dire qu’elle fonctionne très mal. L’immigration aussi et les douanes, ils sont incompétent tout simplement. Mais c’est loin d’être les seuls problèmes de ce pays, qui le privent d’être prospère, efficace et assez fort, économiquement et militairement, pour ne pas donner envie à qui que ce soit, de refaire le coup de trois jours, qui durent je ne sais plus combien de jours. Il y a du travail à faire. Et je crois toujours, que ce pays peut réussir, j’y crois encore plus, après tout ce qui s’est passé, après toutes ces souffrances. Cette réussite serait plus que méritée. Souhaitons le donc. Et faisons le nécessaire pour que ça devienne une réalité. Ceux qui restent dans le pays, ceux qui sont partis ou qui vont partir mais qui ne vont pas oublier, qui ne vont pas se dissocier. Ceux qui admirent ce pays de loin, qui ne le lâchent pas, même de loin. Faisons ce qui dépend de nous, car même une armée de politiques ne pourra rien faire, si les gens l’abandonnent. Un pays, c’est aussi un accord, un accord entre les gens. Évitons donc que les désaccords nous déchirent. Il y a du travail à faire, malgré nos différents.
Moi, russe en Ukraine, qui va probablement être expulsé à cause de ma nationalité (on le lit très bien entre les lignes dans les décisions de l’immigration et des juges, pays agresseur et tout ça, ce n’est pas légal mais tant pis, je n’ai plus aucune rancune), j’essai de savourer chaque instant qu’il me reste à passer dans cette belle ville d’Odessa. Je me suis fixé un an, légale ou illégale je m’en fous. Pour mieux me préparer, certes, car j’ai des chats, leur papiers ça prend du temps, et puis j’ai bien envie de terminer mes quelques projets. Culturels, humanitaires. Pour pouvoir après les gérer ou les soutenir à distance, car il n’est pas exclu que cette année sera la toute dernière et je ne pourrai plus jamais revenir. Je suis déjà nostalgique, alors que je suis encore là. Bizarre comme sentiment. Je sais d’avance que je ne vais plus revenir. Une petite mort, encore une fois. En quittant la Russie je ne pensais pas ne pas pouvoir revenir. Je n’ai pas bien profité, je suis parti soudainement avec une petite valise, un ordinateur, un passeport et 250 euros dans la poche. Une aventure quoi. Là, je me sens de nouveau aventurier sauf que, je vais quand même profiter du temps qu’il me reste. Je vais boire cette ville jusqu’à l’ivresse, la savourer jusqu’à là derrière goutte, sentir et ressentir ce vieux vin exceptionnel unique au monde, cette ville qu’il est impossible d’oublier, en la touchant même du bout des lèvres, même du bout de l’âme. J’y suis venu ici pour la première fois en 2015, pour trois jours, j’ai dû tomber amoureux sans me rendre compte, je me souviens que je m’étais dit tiens il faudrait y passer quelques années, il y a quelque chose dans l’air qui m’attire bien. Et puis j’ai oublié, et puis le subconscient, j’imagine, a fait le nécessaire. Et maintenant je sais, que ce que j’ai senti en 2015, c’était l’énergie. L’énergie des gens qui vivent et qui viennent ici. Un mélange de liberté, de volonté, de créativité, d’intelligence profonde, de sagesse, de paresse bien géré, bien contrôlée, un paradis linguistique, une ville qui est faite pour découvrir son âme, pour comprendre, enfin, ce que tu veux faire dans cette vie, et commencer à le faire, elle t’aide, elle te guide, même en te mettant dans des situations, à première vue, difficiles, elle te guide. Les choses que j’ai apprises ou comprises ici, on n’aura pas assez de temps pour tout citer. Les personnes merveilleuses que j’ai rencontré ici, je ne saurai pas leur nombre, donc oui, je veux encore profiter de tout ça et c’est même très bien que je sais d’avance que je vais, probablement, j’ai une petite flamme d’espoir pour inciter sur cette adverbe, partir à jamais. D’ailleurs, ce sentiment que j’éprouve maintenant en permanence me fait penser aux gens qui savent, plus ou moins, quand il vont mourir à cause d’une maladie dite incurable, et qui décident de profiter du peu de temps qu’il leur reste. Peu, parce que ce n’est jamais assez quand tu sais que ça va se terminer bientôt. Pas l’temps pour les chagrins, pour l’ennuie, pour les déprimes, tu profites. Tu es reconnaissant, tu aimes, tout simplement. Je me dis que, si on savait tous notre jour de départ, on serait peut être plus heureux, on passerait plus de temps avec les gens qu’on aime, on ferait plus de belles choses, sans conditions, sans crainte, sans attentes. Mais tôt ou tard, on va tous partir, si ce n’est pas dans un an, c’est dans 100 ans, pourquoi donc les gaspiller, pourquoi donc ne pas apprécier chaque instant, il y en a si peu. Je me dis aussi que, dans un an, il n’y aura peut être plus de guerre en Ukraine et je partirai encore plus heureux, sachant que ce cauchemar est terminé pour ce beau pays, qui a tant donné à un russe, malgré que le pays d’origine de ce russe, lui a donné tant de souffrance. J’aimerai voir ça. Il est grand temps. On a si peu de temps sur cette planète. Arrêtons, au moins, de le gaspiller de la sorte.
Titulaire du compte | Antoine Gerard Claude Gautheron |
---|---|
IBAN | GB17SEOU00994400320661 |