Les Couleurs de l’Info : Ép. 1
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Je lis en ce moment Les Russkoffs de Cavanna. Comparé à ce qu’ont vécu les gens lors de la deuxième mondiale, celle-là me paraît de suite moins cruelle, plus distinguée même, délicate. Et pourtant, des meurtres, des horreurs, y en a. Chaque jour.
Ou peut-être c’est parce que je vis loin du front et ne risque que des bombardements sur la ville, et encore, par seulement certain type de missile qui nous viennent de temps en temps de Crimée avant même que l’alerte sonne. Va savoir.
En tout cas, on ne fait plus attention, on sait que ce n’est qu’un mauvais moment à passer et on cherche d’autre sens pour justifier son existence. On creuse dans le futur, qui n’est pas trop certain, on ne sait pas trop où on va, juste la direction plus ou moins.
Mais voilà, il semble naturel qu’elle finisse. Et puis la vie reprendra. Et puis d’autres nous tomberont dessus un jour ou l’autre, si on n’est pas assez préventif et mâlin. Ça va sûrement arriver, car on ne peut pas s’en passer, nous les humains. On dirait que ça nous amuse. On dirait que ça nous sert à quelque chose. On essaie de trouver une raison, car ce serait bête de s’entretuer sans aucune raison valable. Mais on le fait, on s’entretue. On se trouve des raisons, des excuses, alors qu’on est peut être tout simplement con.
Pas individuellement, non. On peut être très bien, intelligent et tout, mais dès qu’on se réunit au sein d’une grande communauté, telle qu’un pays, c’est très rare qu’on se partage nos intelligences, ce serait trop beau. L’intelligence, c’est lourd, beaucoup plus lourd qu’une bêtise. Beaucoup plus compliqué et nuancé. C’est une responsabilité aussi, car très fragile. La faire passer à quelqu’un et ne pas la briser en la passant, c’est une tâche des fois impossible à l’échelle nationale, car celui qui la reçoit doit être assez fort lui aussi pour pouvoir l’accepter sans la faire tomber.
Alors on se partage des choses simples, légères, qui ne demandent pas d’être responsable, qui ne nous demandent que d’avoir les oreilles et les yeux. Et ça rentre, ça s’installe, ça fleurit. Plus ça fleurit, plus ça te déchire et te voilà un jour prêt à déchirer les autres. Et puis, à en croire les psychologues, on est tous traumatisés depuis l’enfance, on a plus ou moins tous des boutons sur lesquels on peut appuyer avec de la propagande.
Et il suffit d’un connard sans cœur qui s’empare du pouvoir pour appuyer et nous transformer en une force qui rase tout sur son chemin. Il suffit de convaincre. Et maintenant avec nos technologies d’aujourd’hui c’est encore plus facile et plus rapide. Des convaincus d’ailleurs deviennent souvent des cons vaincus. Seulement, ça n’arrive qu’après les dégâts irréparables.
Mais c’est aussi leur petite chance de devenir moins cons au moins pour un moment, car quand tes illusions se cassent le masque contre la réalité, tu vois beaucoup plus clair. Ça te tape si fort que toutes ces choses inutiles, mais nourrissantes, sortent comme si t’avais une diarrhée d’oreilles. Mais il faut taper vraiment fort, sinon ça ne fait que de la mousse.
Comme par exemple cette escalade de l’armée ukrainienne vers Koursk : ça a eu son petit effet local, mais ça n’a rien changé en général. Peut-être, ce n’est que le début, mais encore une fois : combien de temps encore et quelle addition vas-t-on payer pour permettre, cette fois aux russes, de se débarrasser de cette connerie semée et cultivée soigneusement par leur propagande qu’on ne peut pas supporter plus que 2-3 minutes, si on n’a pas l’habitude, qui donne envie de vomir, mais qui est très bien digérée si on arrive à s’y mettre comme à tout autre poison : clopes, alcool, drogues ? On va attendre quoi ? Que ce cancer devienne irréversible ? On n’a pas eu assez d’exemples dans notre passé ? On se croit plus chanceux ? Ou on s’en fiche tout simplement ?
Pourquoi interdire aux ukrainiens de se défendre comme ils veulent ? Pourquoi modérer si soigneusement la livraison d’armes ? Sûrement par l’intelligence que nous ici ne sommes pas capables d’accepter à notre niveau, on n’est pas assez fort pour porter un tel poids. Alors on fait simple : on essaie avec ce qu’on peut et on râle. Et on a de plus en plus envie que ça finisse tout simplement, peu importe comment, mais que ça s’arrête. C’est ça le but, j’imagine ? La victoire de l’Ukraine n’a jamais été le but ? La Russie reste un partenaire précieux, malgré tout ?
Mais bon, je parle comme si la victoire, la libération ou la disparition de l’Ukraine dépendait seulement des autres pays. Et pourtant, c’est plus ou moins ça. On attend sérieusement les élections aux États Unis comme si c’était bien les nôtres, sauf qu’on n’a pas le droit de voter cette fois. Chez nous on n’a pas eu ce droit non plus, mais… c’est autre chose, c’est la guerre donc on change rien tant qu’elle dure, au cas où.
Dans mon métier de programmeur il y a une phrase, assez vraie d’ailleurs : peu importe comment, si ça marche, n’y touche surtout pas, au risque de tout casser et devoir refaire. Seulement arrive un moment où tout se casse tout seul et tu es quand-même obligé d’intervenir. S’il y a assez de temps et de ressources il vaut mieux refaire de zéro, mais si c’est urgent, tu ne fais que réparer, sachant que ça va se casser la gueule un jour ou l’autre.
Depuis l’indépendance, au lieu de tout refaire de zéro, comme c’était plus ou moins le cas des pays baltes par exemple, l’Ukraine a préféré garder ce vieux code soviétique, écrit par d’autres, en changeant juste les noms des fichiers, en ajoutant juste quelques arrangements pour sembler autonome au moins de face. Alors que ce vieux code soviétique depuis des décennies était basé sur des syntaxes KGBistes.
Le FSB devenu SBU sans licencier personne. Les politiques communistes sont devenus libéraux, sans changer de politique. Cette histoire de langues : russe, ukrainienne, va savoir d’où elle vient. Surtout pas des citoyens parce qu’ils s’en foutaient pas mal, ils parlaient ce qu’ils voulaient. L’arme nucléaire, donnée contre un PQ de marque hongroise, n’en parlons même pas. La confiance règne, surtout quand il s’agit de l’indépendance d’un pays. Les militaires russes qui louaient littéralement la Crimée jusqu’au jour où ils l’ont pris.
Sans parler des lois, même nouvelles, même après l’invasion à grande échelle, qui répètent souvent ce qui est voté comme lois en Russie, qui elle, non plus, non seulement a également gardé toutes ces vieilles habitudes de l’URSS, mais qui a à sa tête depuis 25 ans déjà un KGBist.
C’est non seulement parce qu’ils ont peur, les Russes, des lois internationales qui disent que tout pays déclarant une guerre, devient automatiquement un paria, qu’ils ont appelé ce qu’ils font Opération Spéciale. C’est qu’ils croyaient vraiment que ça allait l’être. Si ça n’a pas marché comme prévu, c’est seulement grâce au peuple ukrainien, qui n’a pas voulu qu’on lui impose quoi que ce soit, dont les illusions se sont cassé la gueule contre la réalité et ils ont dû sortir ce qu’ils ont vraiment sous la peau. Et aussi grâce à la disparition totale des politiques pour un moment.
Pendant ces quelques mois, les ukrainiens se défendaient comme des guerriers, parce que le pourquoi était bien clair, bien évident. Armes ou pas, ils voulaient protéger leur pays ne serait-ce qu’avec des fourchettes. Il n’y avait pas de lois, pas de système et tout fonctionnait quand-même. Quelle chance de tout reconstruire de zéro…
Maintenant, pour mobiliser, il faut attraper les gens dans la rue, comme des voleurs, parce qu’on ne sait plus où on va. Et les gens, ça se sent, se croient trahis. Plus de liberté, démocratie mon œil, à l’abattoir tous, au moins jusqu’aux élections… dans un pays lointain.
Ça va faire 30 mois déjà, qu’on marche, qu’on tue, qu’on crève. Qu’on crève même sans marcher, en se faisant des rêves quand des missiles et des drones nous rendent visite pratiquement chaque nuit. Et des fois en plein jour.
Dans les médias étrangers, on ne parle plus trop en détail de ce qui se passe. Même ici on oublie le lendemain, parce que ça ne choque plus. Combien y-a-t-il eu de morts à Poltava, à Lviv récemment ? 50 ? 200 ? Kiev en plein centre-ville c’était bien cet été ou il y a un an ? Tiens, ce mercredi les Ukrainiens ont fait sauter un stock d’armement en Russie, ça a fait un boum pareil à une explosion nucléaire. Ça a même produit un tremblement de terre. Dans combien de temps on va l’oublier ? Le barrage de Kakhovka, catastrophe écologique, on n’en a même pas assez parlé, ça s’est passé inaperçu.
Mais détrompez-vous, ce stock détruit, ce n’est pas pour apprendre aux russes quoi que ce soit, ça permettra juste d’éviter peut-être quelques morts de civils en Ukraine pendant une semaine ou deux, parce que les russes nous les auraient envoyé ces missiles dans nos immeubles résidentiels, et comme on n’a pas assez de système anti-aériens, ça nous arrange.
Et ce n’est pas la première fois que les ukrainiens arrivent à faire sauter quelque chose sur le territoire russe. Je ne pense pas qu’ils vont se mettre un jour à bombarder les civils comme le font régulièrement les russes en Ukraine, mais plus ou moins la guerre est bien présente là-bas aussi, et c’est bien logique après tant de temps. Bien spéciale cette opération spéciale de poutine.
Bref, comme toute guerre, celle-là se répand. On est bien tous là-dedans. Peut-être plus ça s’intensifie, plus vite ça va finir ? Comme s’il s’agissait d’un pus qu’il fallait d’abord extraire jusqu’à la dernière goutte ? Si c’est ça, dommage que les armes ont toujours été livrées à goutte d’eau, ça se serait intensifié plutôt et ça permettrait d’en finir plutôt.
Afin que ça ne devienne pas à cent pour cent la routine, je me rappelle souvent du début, du choc qu’on a eu. J’aimerais que vous écoutiez ce court entretien avec Alina, une Ukrainienne de Marioupol, ville russophone, que les russes sont venus soi-disant sauver des soi-disant nazis, en la rasant complètement.