Artem SAVART
Un Russe en Ukraine

L’été 2023 en Ukraine

Version complète de ma chronique mensuelle sur RTBF du 13 septembre dans Matin Première avec Françoise Wallemacq et François Heureux.

Écouter sur le site de RTBF

Dans mon enfance, quand on revenait à l’école en septembre, la première chose à faire était d’écrire une composition sur l’été qui venait de passer. Il n’y avait pas de règles, on était libre de dire ce qu’on voulait. Et bien, cet été a été vachement dur, je dois l’avouer.

Cette guerre, elle dure déjà un bon moment et franchement on n’en voit pas trop la fin. Bien sûr il y a des experts qui nous disent qu’elle va finir bientôt, d’autres expliquent qu’elle pourrait continuer jusqu’à 2035, mais peu importe ce qu’ils disent, on n’a plus confiance dans ces prédictions. On voit qu’elle est là, qu’elle continue à nous prendre nos proches, et on est obligé de la considérer comme une partie de notre quotidien, de faire avec, de ne plus attendre et de continuer à vivre malgré les circonstances.

Comme le font les enfants orphelins au camp des réfugiés à Koblevo, par exemple. Qui n’ont plus de parents. Qui ne les ont plus pour toujours, pour toute leur vie. On a eu la chance de les voir quand on était venu avec la machine à glace pour essayer de leur offrir un peu de réconfort. Ça faisait plaisir de les voir rire, courir autour de cette machine miraculeuse qui sort des glaces italiennes. Ils étaient contents. Pour eux c’était une vraie fête. Et pour une petite journée au moins ils pensaient moins à ce qui leur est arrivé. Mais à travers leurs sourires, on voyait bien les horreurs qu’ils ont vécues.

Journée de glace à Koblevo au camp de réfugiés

C’est dans les yeux, dans la voix, dans les paroles qui parfois ne sont pas celles des enfants. Et on sait très bien que ça les a marqué à jamais, cette trahison de la vie qui est celle de se retrouver seul au monde. Heureusement qu’il y a des gens comme Anna Zamazeeva qui s’en occupent, qui essaient de leur organiser un peu de confort, un peu de chaleur humaine. Ça soulage un peu qu’ils ne soient pas abandonnés, mais moi personnellement à chaque fois quand j’y pense, ça me transperce le cœur.

Dans le cadre de nos missions on a aussi réussi quelques livraisons alimentaires à Mykolaïv. Surtout on n’arrêtait pas d’apporter de l’eau potable, qu’ils n’avaient déjà pas assez même avant la destruction du barrage de Kakhovka et surtout après. Pour un moment, c’est devenu la demande numéro 1 là-bas.

Nos livraisons d’eau potable à Mykolaïv pour les réfugiés de Kherson

C’était un peu bizarre d’apporter de l’eau pour qu’ils puissent survivre, alors que l’eau même les tuait en entrant dans leurs villes, dans leurs maisons. L’eau est partie quelques semaines après, mais elle a bien emporté les biens et les vies des gens qui n’ont pas eu assez de temps pour s’enfuir.

À Odessa au bord de la mer on a vu des maisons entières venues de Kherson. Sans parler des milliers de meubles. Sans parler des cadavres.

Et ce qui est bizarre aussi, c’est que cette catastrophe n’a pas été assez médiatisée. On s’est inquiété comme toujours, c’est passé et on n’en parle plus comme si de rien n’était. Et pourtant, c’est l’un des crimes les plus monstrueux pendant cette guerre. C’est bel et bien une catastrophe écologique, que l’armée russe s’est permis d’organiser. Sans même prévenir ses soldats qui, le jour de l’exposition, étaient sur place, s’accrochaient aux arbres et suppliaient les ukrainiens de les ramasser.

Je l’ai suivi en direct car un de mes amis était là aussi, du côté des ukrainiens, et il nous écrivait dans le tchat ce qui était en train de se passer ce matin là. Lui, militaire, il ne comprenait pas comment pouvait-on abandonner ses soldats, ne pas les prévenir avant de faire sauter ce barrage, en laissant crever la plupart littéralement. Mais bon, les russes ont fait assez de conneries comme ça pour comprendre qu’il n’y a aucun estime pour la vie humaine, soit-elle celle d’un ukrainien ou d’un russe.

Et quand aux amis aux front, j’en ai toujours, heureusement, un autre. Nikolaï, pilote de drone, pour lequel après quelques mois on a finalement réussi à récolter les fonds et acheter une voiture afin qu’ils puissent être plus mobiles lors de leurs missions de renseignement. Ça fait déjà quelques mois qu’il fait son service à la ligne du front.

Collecte de fonds pour pouvoir acheter une voiture militaire

Avec ses petits machins volants lui et son équipe ils arrivent à avoir des renseignements vitaux pour l’armée et les civils.

Des fois ils sont malheureusement repéré par l’ennemi et sont bombardés direct. Ils font partie des cibles principales, car quand on arrive à éliminer l’équipe des drones, les autres soldats sont aveuglés pour un bon moment.

C’est ce qui s’est passé il y a quelques jours, ils ont été repérés et bombardés et plusieurs gars de son équipe sont morts sur place. Lui, ça va, mais il est bien en danger, tout le temps, chaque minute. Et c’est le cas de tous les soldats.

Et quand j’entends les médias et les gens, surtout les politiques, se plaindre de la contre-offensive qui n’a pas été assez rapide que ce qu’ils s’imaginaient, j’ai envie de demander : n’avez vous pas honte ?

Oui, on voit bien d’ici que tout le monde en a marre, qu’on trouve des excuses bidons comme la corruption, la peur que l’armée ukrainienne aille se battre sur le territoire russe, pour ne pas donner assez d’armes tant nécessaires. Ils donnent bien sûr, mais pas assez et surtout pas à temps. Leurs décisions prennent des mois et des mois, pendant lesquels l’armée russe se retranche, se prépare, se mobilise de nouveau.

Et le fait que l’armée ukrainienne arrive à avancer quand même, sans avions, qui n’ont pas toujours été donnés, je le considère comme un miracle, donc au lieu de se plaindre, il faut arrêter les décisions incertaines, arrêter de parler des aides pendant des mois et des mois et faire le nécessaire. Si, bien sûr, on veut bien que cette guerre soit finie bientôt. Ce qui n’est peut être pas dans les intérêts de tout le monde en Europe et aux États Unis. C’est bien dommage de le constater, mais on se pose ici des questions comme ça. Des fois même on croit que la situation actuelle satisfait le monde…

— Il y a bien toujours une guerre quelque part, tant pis si cette fois c’est en Europe, ce n’est quand même pas en plein milieu. C’est les slaves qui se battent entre eux, les barbares.

— On n’est pas vraiment concerné, nous, on a nos petits problèmes déjà et non seulement ces barbares de slaves n’arrivent pas à s’entendre rapidement, mais pendant des mois et des mois ils exigent de l’aide. Qu’ils se débrouillent quoi.

— On a été gentil au début, on a été choqué, mais franchement, réglez vos problèmes entre vous. Il est déjà temps. Et en plus au lieu de nous remercier vous nous menacez en disant que si les armes ne sont pas données, la guerre viendra chez nous.

J’ai tort bien sûr. Ce n’est pas délicat ce que je dis. Ce n’est pas juste à propos de tout le monde. On ne croit pas que c’est tout le monde qui pense comme ça. Mais avouez que vous entendez de plus en plus circuler des pensées pareilles. 

Moi je peux juste dire encore une fois merci à tous ceux qui ont aidé. Qui continuent à le faire malgré la fatigue générale. Qui comprennent, que même si le champ de bataille est au bout de l’Europe, on est quand même concerné, où que l’on soit. Et qui comprennent, que c’est la vie d’une personne qui compte, peu importe sa nationalité. Et je veux aussi remercier les politiques qui malgré les procédures bureaucratiques insupportables arrive à faire avancer les choses. Qui essaient de faire de leur mieux.

En attendant on fait avec ce qu’on a. L’armée ukrainienne, si je l’ai bien compris, a pour tâche actuelle de détruire d’abord minutieusement celle de l’ennemi pour après avancer d’un coup et à grand pas et surtout avec moins de pertes.

Et nous les civils, entre les bombardements un peu partout qui n’arrêtent pas, on se prépare à l’hiver, qui, on le sait, va être encore plus dur que le précédent. Les russes vont sûrement attaquer l’infrastructure, essayer encore une fois de nous mettre la pression, mais je sais qu’on ne va pas céder. On a des générateurs, on a compris comment se chauffer sans électricité, comment agir s’il n’y en a pas pendant des semaines, on a des points d’invincibilité un peu partout.

Notre point d’invincibilité à Odessa

Moi aussi j’en ai un, que j’ai construit avec l’aide des gens, des auditeurs de RTBF, qui est équipé d’un générateur assez puissant, de plusieurs fibres optiques, qui a 16 places de travail fixes et plus de 100 prises électriques au total. Et je profite de ce passage pour remercier encore une fois les gens qui ont participé à ce projet. Maintenant je fais tous mon effort pour pouvoir le maintenir et le faire fonctionner à fond pendant les coupures d’électricité qui ne vont pas tarder. Afin que plus de gens puissent en profiter.

Mais je sais d’avance, selon l’expérience de l’année précédente, qu’il va y avoir un manque de générateurs en Ukraine, donc si vous avez des amis en Ukraine et si vous voulez les aider, un générateur ne serait jamais de trop. Il y a surtout des cliniques et des maisons de retraite qui n’en ont toujours pas, malheureusement.

Les gens sont très fatigués ici.

Je le vois à leurs visages, à leurs voix, à leurs discussions. Et ils ont aussi marre de demander de l’aide, ils se taisent, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas besoin. 

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