Les Couleurs de l’Info : Ép. 2
Je dors sans arrêt depuis une dizaine de jours. Le sommeil incontrôlé est mon petit moyen pour digérer ce qui n’est pas trop comestible, qu’on est quand-même obligé de l’avaler, vu qu’il n’y a rien d’autre. Ça ne donne pas de rêves lumineux, ils sont plutôt bizarres et délirants, mais ça permet de faire un trie, en quelque sorte, de ranger, d’éplucher la vérité de l’hypocrisie, de creuser au plus profond de soi pour retrouver ne serait-ce qu’une petite source de sens pour l’avenir, car très déshydraté, assoiffé de bonnes nouvelles. Bien perdu dans ce qui se passe. Il se passe des choses bien sûr, mais à la fois, il ne se passe rien. Rien de nouveau, ni à l’ouest, ni à l’est.
Ça devient de plus en plus évident que les deux côtés du globe se sont servis de l’Ukraine pour en faire leur ring et, c’est tout naturel que ce ne soient pas les managers qui se battent. Eux, ils font leurs affaires comme si de rien n’était. Il peut y avoir des gens bien, parmi les managers, tout comme des truands, ça importe très peu. Ce n’est que du business, alors trêve de sentiments, chacun son rôle. Il fallait naître ailleurs, grandir autrement ou fréquenter d’autre milieux, pour ne pas se retrouver sur ce ring. Maintenant il faut bien que les spectateurs ne s’ennuient pas trop, car c’est eux qui payent, tout compte fait. Je ne sais pas si on va compter aux points, ou s’il faut s’attendre à un KO.
Ce combat, il y a peu de doute, est arrangé, orchestré le plus possible, mais on ne peut jamais contrôler à 100 pour cents. Et orchestré ou pas, les blessures sont bien réelles. Il faut croire qu’on va soigner celles qui sont soignables, s’il n’y en a pas une de fatale bien sûr, mais pour l’instant, ce combat est loin d’être fini. Pourtant, on aurait bien envi qu’il finisse car on est bien épuisé. Je dirais même, qu’il finisse d’une façon ou d’une autre, même si on sait que ce ne sera pas le dernier, même si on sait que les objectifs constitutionnels ne semblent plus réalisables pour l’instant, après tout ce qu’on a traversé, après tout ce qu’on a eu et surtout, après tout ce qu’on n’a pas eu.
On espère que ne serait-ce qu’une petite pause ne nous fera pas de mal, mais va savoir. Même si on arrive à s’en procurer une après ce sacré 5 novembre dont on n’arrête pas de s’imaginer des conséquences, c’est loin d’être exclu qu’elle sera trop courte pour que l’Ukraine ait assez de temps et d’intelligence pour se soigner comme il faut et surtout pour se préparer à la revanche.
Alors, vous voyez, ma dépression est bien méritée, et je ne suis pas le seul. Beaucoup de personnes en Ukraine se sentent désespérées. Ils n’avaient pas d’embarras de choix, ils étaient sur ce ring sans le vouloir, ils ont été attaqués, on leur a promis des choses par contre, mais une fois sur le ring c’est un peu le système D. Et encore, il faut balancer entre essayer de sauver sa peau et respecter quelques arrangements des autres avec celui qui t’agresse.
C’est-ce qui arrive, quand on n’est pas libre de décider de son sort, quand on est dépendant, surtout financièrement. Il y a le risque presque inévitable d’être manipulé. J’espère que ce n’est plus souvent le cas de nos jours, mais dans notre passé pas trop éloigné c’était bien courant et surtout normal que les parents décident du sort de leurs enfants, s’agissait-il du mariage, du choix de profession ou des fois même pire.
Le froid d’ailleurs commence à nous rendre ses petites visites régulières. Chaque soir il est là. Je suis assez content des nouvelles fenêtres, elles gardent bien la chaleur, je les ai installées après que l’une s’est cassé suite à un bombardement dans le centre-ville. Comme quoi, il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien. J’avoue que je me serais bien contenté des anciennes si on pouvait éviter ce bombardement et les autres aussi.
J’aime bien cette fraîcheur revenue, elle attire des souvenirs de l’hiver, qui ne va pas tarder à son tour, ça me rappelle la neige et ce sentiment quand on a froid dehors mais on sait qu’une fois rentré, on aura chaud et alors là, ce contraste, c’est un pure bonheur. Souvent ce contraste est accompagné des fêtes de fin d’année, ce qui rend cette période un peu magique à chaque fois malgré les circonstances.
Mais bien sûr, on sait que l’hiver nous réservent aussi quelque chose de moins joyeux comme, par exemple, les coupures d’électricité qui semblent inévitables même si les voisins ne bombardent pas l’infrastructure, car le manque, causé par les attaques précédentes, est tellement énorme, qu’on ne pourra pas satisfaire la demande.
Ce n’était pas facile cet été, mais au moins il ne faisait pas froid, on pouvait sortir, se promener, planifier plus ou moins ces activités en fonction des coupures. En hiver ce n’est pas trop le cas. Moins de choses sont possibles sans électricité et on ne sait pas encore à quel point l’énergie est endommagée. Heureusement que beaucoup d’établissements ont leurs générateurs, j’espère surtout que les cliniques et les maisons de retraites en ont, car autrement ça va être une catastrophe encore une fois. Bref, on espère bien sûr le meilleur mais on se prépare surtout au pire.
Il n’est pas exclu que les coupures vont durer pendant des jours donc il faut prévoir quelques réserves d’essence, de la nourriture qui se cuit en très peu de temps, des lampes, des batteries, des couvertures et tout ça. Je ne sais pas ce qui se prépare du côté des compagnies énergétiques, si ça se trouve ils ont pu réparer quelque chose avec l’argent des prix augmentés de 3 fois, mais on a des doutes. Et oui, les prix ont bien grimpé et malgré la guerre et l’interdiction de couper quoique ce soit, si on n’arrive pas à payer à temps, on coupe le courant.
N’empêche que, ça fait réfléchir avant d’allumer une lampe de plus et ça fait ne pas oublier de l’éteindre quand on n’en a plus besoin. C’est plutôt une bonne chose pour l’intérêt général, j’imagine ? Ça permet d’économiser ? Je ne sais pas, par contre, comment les retraités, par exemple, sont censés payer leurs factures alors qu’elles dépassent bien ce qu’ils reçoivent comme retraite. Ça, on ne l’explique pas. Peut être que les retraités ne font pas partie de l’intérêt général, vu que ce sont les jeunes qui financent les retraites à travers les impôts. Et les jeunes qui travaillent, il y en a de moins en moins. La peur de mobilisation, l’économie qui part en vrille et tout ça, des petits inconvénients de guerre, quoi.
Je suis complotiste bien sûr, il faut s’éloigner des idées pareilles. On va s’en sortir, n’est-ce pas. Enfin, peut-être. On garde l’espoir. Il faut tenir bon. Je ne dirai pas tous ensemble, car ce n’est plus le cas. Et si ce n’est pas à cause de ces histoires de langues et de monuments démontés, de noms de rues qui changent sans arrêt comme s’il n’y avait rien d’autre à faire, ce sera tout simplement parce qu’on n’a plus grand chose à partager les uns avec les autres.
On survit, littéralement. La population survit comme elle peut, le gouvernement survit comme il peut. L’humanitaire, n’en parlons plus. Le financement de l’armée, je me tais. Les méthodes de mobilisation, tandis que certains hauts placés se remplissent les poches, je ne saurai guerre décrire quelle fausse commune ça nous creuse entre l’état et la population.
Espérons juste qu’on ne va pas tous glisser dedans.
On ne peut pas arrêter. Ça ne dépend pas de nous. Donc on continue. Mais on ne sait plus où on va exactement. Pour ne pas dire que l’on le sait, qu’on ne veut pas y aller, mais qu’on y va quand même. Tout comme dans cette chanson du groupe Kino, cinéma en français. Bien symbolique pour moi le nom du groupe, tout comme la chanson, car après bientôt 3 ans j’ai toujours l’impression qu’on vit dans un cinéma sans fin. Sauf qu’au début toute cette guerre me paraissait surréaliste, pas normale, et maintenant je pense plutôt à comment nous l’avons menée jusque là.
Je dis nous, je ne parle pas seulement de ceux qui sont à l’intérieur du pays. Je dis nous et je pense aussi à tous ceux qui ont bien caché leur jeu en promettant des armes et en les donnant à gouttes d’eau pour seulement faire durer. Je dis nous et je pense à tous ces crimes de guerre qu’on a laissé se produire, à tout ce massacre au front qui continuera, j’en suis sûr, jusqu’à la dernière minute de la guerre, sans un but précis, car ça n’avance d’aucun côté, ça ne fait que durer.
Je dis nous et je pense au monde entier qui continue à faire des affaires avec un terroriste, qui a occupé le pouvoir dans son pays, qui essaie d’occuper un autre pays en plein Europe, qui en a déjà occupé une parti, qui tue régulièrement des civils, à ce monde entier qui en même temps se prends aux ressortissant de ce pays qui ont fui cette dictature. C’est facile, hein, ils sont chez vous et l’autre il se cache dans ses résidences. C’est facile aussi, d’interdire aux ukrainiens de taper où ils veulent, c’est vous qui leur donnez les armes, même à goutte d’eau.
Je dis nous, et je pense aussi à tous les fonctionnaires qui s’enrichissent pendant cette guerre, au lieu de consacrer tous leurs efforts à la cause qu’ils déclarent être la seule possible : regagner les frontières de l’année 1991. Ou peut-être qu’ils parlent du mois de juillet, avant l’indépendance ? On commence à se douter.
Bref, on continue seulement parce qu’on ne sait pas comment arrêter, comme si on était dans un train qui va sûrement dérailler tôt ou tard, parce qu’on n’a pas le contrôle et la vitesse qu’il a pris en haut de cette montagne de mensonges ne fait qu’augmenter.
Ce n’est pas nouveau tout ça. Il n’y a rien de nouveau ici. On découvre juste chaque jour un peu plus de ce qui était présent dès le début. Mais ça m’étonnera toujours. Comment pouvons-nous être hypocrite à ce point ? Je dois peut-être arrêter de dire nous dans l’avenir, car ça n‘a plus de sens. Chacun son intérêt, j’imagine.
Dans toute cette tension et incertitude, on se demande si l’Ukraine va pouvoir résister tout compte fait. Elle est tellement pesante cette tension, qu’on ne fait plus de projet à long terme. On se contente de ce qu’on peut faire aujourd’hui et demain et peut-être après-demain.
On attend toujours le 5 novembre, histoire d’attendre au moins quelque chose. On a compris qu’il ne s’agit plus de victoire totale. Certains espèrent et y croient, par habitude, mais ce ne sont surtout pas les militaires au front. Ceux qui sont au front sont un peu plus renseignés, je pense.
Les mots, les grandes paroles sont de moins en moins écoutés. Le patriotisme est de moins en moins indiscutable. Je ne sais pas, si l’Ukraine va résister en tant que pays actuel. Mais je suis certain, que la volonté, la créativité et l’âme des Ukrainiens, survivront à tout ce cauchemar.
Ce n’est pas les frontières des années 1991 qui m’ont attiré, quand j’ai trouvé mon refuge ici. Ce sont les gens, les personnes, les personnalités. J’espère juste que tous ceux qui se sont bien servi de ces maudites frontières sauront un jour s’excuser.
Ce sera la moindre des choses, après tant de tragédies humaines.
Les Couleurs de l’Info : Ép. 1
Je lis en ce moment Les Russkoffs de Cavanna. Comparé à ce qu’ont vécu les gens lors de la deuxième mondiale, celle-là me paraît de suite moins cruelle, plus distinguée même, délicate. Et pourtant, des meurtres, des horreurs, y en a. Chaque jour.
Ou peut-être c’est parce que je vis loin du front et ne risque que des bombardements sur la ville, et encore, par seulement certain type de missile qui nous viennent de temps en temps de Crimée avant même que l’alerte sonne. Va savoir.
En tout cas, on ne fait plus attention, on sait que ce n’est qu’un mauvais moment à passer et on cherche d’autre sens pour justifier son existence. On creuse dans le futur, qui n’est pas trop certain, on ne sait pas trop où on va, juste la direction plus ou moins.
Mais voilà, il semble naturel qu’elle finisse. Et puis la vie reprendra. Et puis d’autres nous tomberont dessus un jour ou l’autre, si on n’est pas assez préventif et mâlin. Ça va sûrement arriver, car on ne peut pas s’en passer, nous les humains. On dirait que ça nous amuse. On dirait que ça nous sert à quelque chose. On essaie de trouver une raison, car ce serait bête de s’entretuer sans aucune raison valable. Mais on le fait, on s’entretue. On se trouve des raisons, des excuses, alors qu’on est peut être tout simplement con.
Pas individuellement, non. On peut être très bien, intelligent et tout, mais dès qu’on se réunit au sein d’une grande communauté, telle qu’un pays, c’est très rare qu’on se partage nos intelligences, ce serait trop beau. L’intelligence, c’est lourd, beaucoup plus lourd qu’une bêtise. Beaucoup plus compliqué et nuancé. C’est une responsabilité aussi, car très fragile. La faire passer à quelqu’un et ne pas la briser en la passant, c’est une tâche des fois impossible à l’échelle nationale, car celui qui la reçoit doit être assez fort lui aussi pour pouvoir l’accepter sans la faire tomber.
Alors on se partage des choses simples, légères, qui ne demandent pas d’être responsable, qui ne nous demandent que d’avoir les oreilles et les yeux. Et ça rentre, ça s’installe, ça fleurit. Plus ça fleurit, plus ça te déchire et te voilà un jour prêt à déchirer les autres. Et puis, à en croire les psychologues, on est tous traumatisés depuis l’enfance, on a plus ou moins tous des boutons sur lesquels on peut appuyer avec de la propagande.
Et il suffit d’un connard sans cœur qui s’empare du pouvoir pour appuyer et nous transformer en une force qui rase tout sur son chemin. Il suffit de convaincre. Et maintenant avec nos technologies d’aujourd’hui c’est encore plus facile et plus rapide. Des convaincus d’ailleurs deviennent souvent des cons vaincus. Seulement, ça n’arrive qu’après les dégâts irréparables.
Mais c’est aussi leur petite chance de devenir moins cons au moins pour un moment, car quand tes illusions se cassent le masque contre la réalité, tu vois beaucoup plus clair. Ça te tape si fort que toutes ces choses inutiles, mais nourrissantes, sortent comme si t’avais une diarrhée d’oreilles. Mais il faut taper vraiment fort, sinon ça ne fait que de la mousse.
Comme par exemple cette escalade de l’armée ukrainienne vers Koursk : ça a eu son petit effet local, mais ça n’a rien changé en général. Peut-être, ce n’est que le début, mais encore une fois : combien de temps encore et quelle addition vas-t-on payer pour permettre, cette fois aux russes, de se débarrasser de cette connerie semée et cultivée soigneusement par leur propagande qu’on ne peut pas supporter plus que 2-3 minutes, si on n’a pas l’habitude, qui donne envie de vomir, mais qui est très bien digérée si on arrive à s’y mettre comme à tout autre poison : clopes, alcool, drogues ? On va attendre quoi ? Que ce cancer devienne irréversible ? On n’a pas eu assez d’exemples dans notre passé ? On se croit plus chanceux ? Ou on s’en fiche tout simplement ?
Pourquoi interdire aux ukrainiens de se défendre comme ils veulent ? Pourquoi modérer si soigneusement la livraison d’armes ? Sûrement par l’intelligence que nous ici ne sommes pas capables d’accepter à notre niveau, on n’est pas assez fort pour porter un tel poids. Alors on fait simple : on essaie avec ce qu’on peut et on râle. Et on a de plus en plus envie que ça finisse tout simplement, peu importe comment, mais que ça s’arrête. C’est ça le but, j’imagine ? La victoire de l’Ukraine n’a jamais été le but ? La Russie reste un partenaire précieux, malgré tout ?
Mais bon, je parle comme si la victoire, la libération ou la disparition de l’Ukraine dépendait seulement des autres pays. Et pourtant, c’est plus ou moins ça. On attend sérieusement les élections aux États Unis comme si c’était bien les nôtres, sauf qu’on n’a pas le droit de voter cette fois. Chez nous on n’a pas eu ce droit non plus, mais… c’est autre chose, c’est la guerre donc on change rien tant qu’elle dure, au cas où.
Dans mon métier de programmeur il y a une phrase, assez vraie d’ailleurs : peu importe comment, si ça marche, n’y touche surtout pas, au risque de tout casser et devoir refaire. Seulement arrive un moment où tout se casse tout seul et tu es quand-même obligé d’intervenir. S’il y a assez de temps et de ressources il vaut mieux refaire de zéro, mais si c’est urgent, tu ne fais que réparer, sachant que ça va se casser la gueule un jour ou l’autre.
Depuis l’indépendance, au lieu de tout refaire de zéro, comme c’était plus ou moins le cas des pays baltes par exemple, l’Ukraine a préféré garder ce vieux code soviétique, écrit par d’autres, en changeant juste les noms des fichiers, en ajoutant juste quelques arrangements pour sembler autonome au moins de face. Alors que ce vieux code soviétique depuis des décennies était basé sur des syntaxes KGBistes.
Le FSB devenu SBU sans licencier personne. Les politiques communistes sont devenus libéraux, sans changer de politique. Cette histoire de langues : russe, ukrainienne, va savoir d’où elle vient. Surtout pas des citoyens parce qu’ils s’en foutaient pas mal, ils parlaient ce qu’ils voulaient. L’arme nucléaire, donnée contre un PQ de marque hongroise, n’en parlons même pas. La confiance règne, surtout quand il s’agit de l’indépendance d’un pays. Les militaires russes qui louaient littéralement la Crimée jusqu’au jour où ils l’ont pris.
Sans parler des lois, même nouvelles, même après l’invasion à grande échelle, qui répètent souvent ce qui est voté comme lois en Russie, qui elle, non plus, non seulement a également gardé toutes ces vieilles habitudes de l’URSS, mais qui a à sa tête depuis 25 ans déjà un KGBist.
C’est non seulement parce qu’ils ont peur, les Russes, des lois internationales qui disent que tout pays déclarant une guerre, devient automatiquement un paria, qu’ils ont appelé ce qu’ils font Opération Spéciale. C’est qu’ils croyaient vraiment que ça allait l’être. Si ça n’a pas marché comme prévu, c’est seulement grâce au peuple ukrainien, qui n’a pas voulu qu’on lui impose quoi que ce soit, dont les illusions se sont cassé la gueule contre la réalité et ils ont dû sortir ce qu’ils ont vraiment sous la peau. Et aussi grâce à la disparition totale des politiques pour un moment.
Pendant ces quelques mois, les ukrainiens se défendaient comme des guerriers, parce que le pourquoi était bien clair, bien évident. Armes ou pas, ils voulaient protéger leur pays ne serait-ce qu’avec des fourchettes. Il n’y avait pas de lois, pas de système et tout fonctionnait quand-même. Quelle chance de tout reconstruire de zéro…
Maintenant, pour mobiliser, il faut attraper les gens dans la rue, comme des voleurs, parce qu’on ne sait plus où on va. Et les gens, ça se sent, se croient trahis. Plus de liberté, démocratie mon œil, à l’abattoir tous, au moins jusqu’aux élections… dans un pays lointain.
Ça va faire 30 mois déjà, qu’on marche, qu’on tue, qu’on crève. Qu’on crève même sans marcher, en se faisant des rêves quand des missiles et des drones nous rendent visite pratiquement chaque nuit. Et des fois en plein jour.
Dans les médias étrangers, on ne parle plus trop en détail de ce qui se passe. Même ici on oublie le lendemain, parce que ça ne choque plus. Combien y-a-t-il eu de morts à Poltava, à Lviv récemment ? 50 ? 200 ? Kiev en plein centre-ville c’était bien cet été ou il y a un an ? Tiens, ce mercredi les Ukrainiens ont fait sauter un stock d’armement en Russie, ça a fait un boum pareil à une explosion nucléaire. Ça a même produit un tremblement de terre. Dans combien de temps on va l’oublier ? Le barrage de Kakhovka, catastrophe écologique, on n’en a même pas assez parlé, ça s’est passé inaperçu.
Mais détrompez-vous, ce stock détruit, ce n’est pas pour apprendre aux russes quoi que ce soit, ça permettra juste d’éviter peut-être quelques morts de civils en Ukraine pendant une semaine ou deux, parce que les russes nous les auraient envoyé ces missiles dans nos immeubles résidentiels, et comme on n’a pas assez de système anti-aériens, ça nous arrange.
Et ce n’est pas la première fois que les ukrainiens arrivent à faire sauter quelque chose sur le territoire russe. Je ne pense pas qu’ils vont se mettre un jour à bombarder les civils comme le font régulièrement les russes en Ukraine, mais plus ou moins la guerre est bien présente là-bas aussi, et c’est bien logique après tant de temps. Bien spéciale cette opération spéciale de poutine.
Bref, comme toute guerre, celle-là se répand. On est bien tous là-dedans. Peut-être plus ça s’intensifie, plus vite ça va finir ? Comme s’il s’agissait d’un pus qu’il fallait d’abord extraire jusqu’à la dernière goutte ? Si c’est ça, dommage que les armes ont toujours été livrées à goutte d’eau, ça se serait intensifié plutôt et ça permettrait d’en finir plutôt.
Afin que ça ne devienne pas à cent pour cent la routine, je me rappelle souvent du début, du choc qu’on a eu. J’aimerais que vous écoutiez ce court entretien avec Alina, une Ukrainienne de Marioupol, ville russophone, que les russes sont venus soi-disant sauver des soi-disant nazis, en la rasant complètement.
Le Fin Mot | Épisode 5
J’ai commencé à envoyer mes chroniques à RTBF il y a presque deux ans, en novembre 2022, suite aux coupures d’électricité, qui duraient à cette époque pendant des journées entières. C’était tout nouveau. Moi, programmeur dont toutes les activités sont dans l’ordinateur, je ne savais pas trop quoi faire de ce temps libre dans le froid et dans le noir. Je n’avais même pas de carnet, ni de stylo. Je ne sais pas ce qui m’a pris d’écrire directement en français. Je ne l’ai jamais fait avant. Ce n’est pas ma langue maternelle et j’ai toujours des lacunes, je manque souvent de vocabulaire. N’empêche que, quand j’écris ces notes, les paroles viennent toutes seules, les réflexions et les conclusions se font toutes seules également. Et à chaque fois c’est une découverte. Bref, pour moi ça reste un mystère. Et je suis loin de penser que ça vient de moi. Je m’ennuyais juste. Je voulais juste noter ce qui se passait autour de moi. Mais le destin a voulu que je continue, et grâce à ces petites chroniques plus ou moins régulières, avec les auditeurs de RTBF on a pu effectuer pendant ces deux ans plusieurs missions humanitaires, on a aidé les gens, on n’a pas été inutiles sur cette planète ne serait-ce que pour cela. Ne serait-ce que pour ces quelques sourires des gens dans le besoin, auxquels on a pu faciliter un peu leur épreuve. Et puis, j’ai vu le soutien des gens qui ne me connaissait même pas avant que je passe à la radio. Les dons bien sûr, c’est très important et ça a rendu possible ce qu’on a fait, mais surtout, leurs lettres, leurs petits mots qu’ils mettaient dans les commentaires accrochés aux virements. Ça m’a beaucoup changé. Je pense que je vais passer à travers toute ma vie la conclusion qu’il y a plus de bien chez les humains, que de mal. Et peu importe la suite, ça me fera toujours chaud au cœur, longtemps après cette guerre, qui finira tôt ou tard, comme toute autre guerre, emmenant dans l’oubli les victimes, les frontières, les accords. Tout recommencera. On aura sûrement un peu de tranquillité, un peu de repos, pendant quelques années ou quelques dizaines d’années si on est chanceux, en tout cas, jusqu’à la prochaine guerre. Qui commencera sous un prétexte encore une fois bidon, pour satisfaire encore une fois quelques égos insatisfaits, pour des raisons qui ne tiennent pas debout, qui ne valent pas une seule vie humaine sacrifiée, mais qui en prennent souvent des millions. Il y a plus de bien que de mal chez les humains, mais pour déclencher une guerre, on le voit depuis toujours, il suffit de peu. Il ne faut pas trop rêver non plus.
C’est marrant, je viens d’y penser, mais parmi tous ces gens qui nous ont soutenu pendant ces deux ans je n’ai pas remarqué un seul message d’un politicien. Ils n’écoutent pas la radio peut-être, ils ont sûrement autre chose à faire, ils ont sûrement un autre front que nous tous. Ça se voit très bien ici en Ukraine. Il y a des gens qui se battent au front, il y a des civils, qui participent en fonction de leurs moyens ou essaient juste de survivre, qui en souffrent beaucoup de cette guerre, et il y a des politiciens qui prennent des décisions ou, plus souvent, ont peur de prendre une décision. Et les décisions qu’ils prennent, il est rare que tout le monde en soit satisfait, donc autant prendre les bonnes, vu que les gens ne votent pas pour ça, ils votent pour les promesses. À quoi bon essayer de plaire, pourquoi ne pas essayer plutôt d’être efficace ? Ou peut-être ils essayent, mais n’y arrivent pas, qu’est-ce que j’en sais, qui suis-je pour les juger. En tout cas, je n’ai jamais vu un civil ou un militaire commencer une guerre. Des bagarres oui, mais une guerre, c’est toujours ceux qui dirigent les masses, qui les manipulent. Et on suit, ça doit faire partie de notre nature, sinon pourquoi on suivrait ? Bref, maintenant les politiciens nous guident pour faire la paix avec la Russie. Ils nous ont menés jusqu’à la guerre, maintenant ils en ont marre et ils veulent une pause. On aimerait bien, mais comment ? Vous avez vu les conditions qui ont été déclarées par l’autre ? Je doute que les hommes politiques en Ukraine aient le courage de perdre encore plus la face. Pareil pour les occidentaux, donc ça va encore durer un moment. Ça va encore emporter des vies, et ça finira de toute façon par un compromis, et je ne serais même pas étonné qu’on revienne à ce que c’était le 23 février 2022, la veille de l’invasion. Parce que l’Ukraine n’a jamais eu les moyens de se défendre contre la Russie, et l’Occident, malgré ce mémorandum de Budapest qu’on devrait imprimer sur le papier de toilettes pour bien se souvenir à chaque fois de ce que c’est : les promesses, même signées, il n’a jamais eu l’intention de protéger l’Ukraine jusqu’au bout. Il n’a jamais eu l’intention de détruire la Russie, de punir l’agresseur, d’aller jusqu’à Moscou leur donner une leçon de prise de conscience. Ce n’est pas difficile à comprendre, ça saute aux yeux, au bout de deux ans et quelque. Vous vous souvenez de ce qu’ils disaient les politiciens au troisième jour de la guerre, quand l’Ukraine a pu résister quand même rien qu’avec le courage et l’enthousiasme ? C’est beau ce qu’ils disaient. Ça flatte. Ça flatte toujours. Mais c’est faux, ils s’en fichent complètement. C’est leurs mandats qu’ils défendent, et encore, à goutte d’eau.
Mais détrompez vous, je n’essaie pas de blâmer les hommes et les femmes politiques, ils ont leur place dans ce monde sous telle ou telle forme depuis toujours. Le monde est comme ça, c’est tout, il faut juste ne pas l’oublier quand on vous bombarde de slogans, pour au moins essayer d’éviter d’être bombardé un jour par autre chose. Et si on n’a pas su l’éviter, une guerre, ce n’est pas très compliqué non plus. C’est cruel, méchant et toujours injuste, mais pas compliqué. Ni à comprendre, ni à vivre dedans. C’est risqué, c’est vrai, ça bouleverse, surtout au début, mais avec le temps on s’y habitue, l’humain a survécu dans des conditions beaucoup moins confortables et stériles que nous permettent les guerres d’aujourd’hui. Enfin, pas tous, mais, l’humanité, il ne faut pas s’en inquiéter (Comme pour la planète d’ailleurs… Mais bon, c’est un autre sujet) Ce qui devrait nous inquiéter vraiment, c’est des slogans. Examinez-les bien, avant de les suivre, ça peut sauver des vies. En vous le disant, je me rappelle encore une fois le début de mes chroniques à la RTBF. Elles étaient courtes, écrites à la main, enregistrées avec un vieux téléphone, tout le monde parlait encore de l’Ukraine, et je lançais moi-aussi des slogans, je blâmait cette injustice, je criais presque, ça me déchirait de l’intérieur. Je vous propose de réécouter l’une des premières.
Je vous envoie toutes ses paroles depuis une cave, ce fameux point d’invincibilité, dont je rêvais dans cette chronique que vous venez d’écouter. On l’a construit, c’est vrai. Il a servi, c’est vrai. Et ça continue à servir, car les coupures d’électricité ont repris avec encore plus de force, on a droit chaque jour à une moyenne de 8 heures d’électricité sur 24, par petites doses, et ce n’est pas encore l’hiver. Il fait chaud, pendant la nuit on n’en a pas trop besoin, et quand il fait jour, on se promène plus, on lit plus, on profite plus du beau temps. On aimerait bien travailler plus, car l’argent, ce n’est pas ce qui est de trop en temps de guerre, mais c’est vraiment difficile, l’économie est en chute terrible et les gens sont démotivés. Et puis, ces coupures, ça détruit les business. Moi-même j’ai dû jeter du congelé pour une somme bien ronde, car tout a été décongelé, donc devenu non comestible. Du coup j’ai fermé ce business des kiosques à croissants que je venais à peine de reprendre, ce n’était déjà la folie en temps de guerre et si en plus on ne peut pas avoir du courant… Au moins j’ai ramené le four, le congélateur et la machine à café à ce point d’invincibilité. J’ai équipé une petite cuisine, ce sera une chose de plus pour les gens qui viennent ici pour profiter de l’électricité, qui nous est fourni par le générateur, offert généreusement par un auditeur belge, en février 2023. On a aussi une machine à laver, une douche et beaucoup de tables, chaises et prises électriques. Tout pour essayer d’être autonome pendant une bonne période. Surtout en hiver, avec ce froid qui va transpercer la ville. On s’en souvient, on se prépare, comme on peut. Moi je suis encore une fois retourné vers la programmation, un métier qui m’a toujours nourri. Qui a permis entre autres, de financer ce point d’invincibilité, qui a coûté beaucoup plus qu’on a pu récolter en dons, dont je ne remercierai d’ailleurs jamais assez les auditeurs de RTBF qui ont participé à la cause. Je ne remercierai non plus pas assez l’équipe de RTBF qui a participé, je le sais, également, et qui continue en plus de s’occuper de ces chroniques. Ce qui nous fait tenir encore et encore, malgré toutes ces difficultés, c’est de savoir que malgré l’oubli et la fatigue dans lequel l’Ukraine est en train de plonger, il y a des gens, qui ne sont pas indifférents. Et même si ce n’est plus un feu de résistance de l’année 2022, même s’il n’en reste qu’une petite flamme de bougie, fragile et sensible au vent qui frappe à travers la fenêtre toute aussi fragile de la ligne du front, on va tenir. Le temps qu’il faudra. Car on n’a pas le choix. Rien n’a changé de ce côté.
Petite lettre d’Odessa
Bonjour à toutes et à tous.
J’espère que vous allez bien. Moi j’ai bien passé une petite période de déprime quand-même. Entre les coupures auxquels on a été obligé de se réhabituer, les bombardements qui n’arrêtent pas, les sources de revenus qui ne sont pas encore créés et ma mère qui est restée toute seule en Russie avec ma petite sœur de 3 ans sur les bras, entre tout ça j’ai failli me perdre, je l’avoue.
J’ai quand-même pu avancer pendant cette semaine, mais on en reparlera plus tard. Sinon je vais me plaindre beaucoup, je préfère éviter. Si tout se passe bien, le deuxième kiosque va être ouvert avant la fin du mois. Pour le premier j’ai négocié la baisse du loyer et on va le garder pour l’instant comme ça, fermé. C’est moins cher que tout démonter et il y a un espoir qu’on pourra quand-même le réanimer prochainement.
J’ai une bonne nouvelle. J’ai trouvé le fameux financement du projet, de la partie médiatique, dont je rêve toujours. Le financement de nos missions humanitaires aussi. Le financement de mes futurs projets humanitaires qui me coûterons des fortunes, mais je veux absolument les réaliser de mon vivant.
Je parle de moi. De mes capacités, de mon expérience, de mes contacts et surtout des projets business que j’élaborais depuis des années, depuis que j’ai quitté la Russie. Je ne les ai jamais lancés, même si j’y ai consacré du temps, parce qu’à chaque fois je me rendais compte, que je ne pourrai pas m’en occuper tout seul. J’avais aussi la confiance en moi un peu cassé, donc je me contentais de ce qui rapportait de suite : le travail de développeur pour un/deux clients à long terme.
Et mes projets, à moitié développés, je les mettais toujours de côté, dans ma boîte magique qui s’appele «plus tard».
Et bien le plus tard est arrivé. Comme toujours dans mon cas, grâce à des femmes. Grâce à ma mère et ma petite sœur qui vont galérer à en sortir toutes seules. En sortir de leur nouvelle situation et de ce pays, qui va les manger, si je ne les sort pas bientôt. Et grâce à une femme que je connais depuis déjà quelques mois, une russe, qui habite aussi Odessa depuis 5 ans. Je vous la présenterai bientôt, elle s’appelle Julia.
Et c’est ma nouvelle partenaire de business.
Elle avait déjà essayé de joindre le côté médiatique du Kiosque, elle a déjà fait quelques vidéos de son émission qu’on va lancer dès qu’on a les moyens pour ça. Et il y a quelques jours on s’est vu, on échangeait sur l’argent, les projets et tout ça, et on a tout les deux eu ce déclic. Parce que non seulement on a les valeurs qui correspondent, les situations qui se ressemble et puis on est déjà devenu des bons amis, on se fait confiance, mais aussi et surtout, on fera bonne équipe, parce que nous nous complétons.
Et ce qui m’a faire fondre : elle rêve aussi d’ouvrir un refuge pour animaux, quand elle en aura les moyens. Et moi j’ai un projet des refuges pour animaux qui l’a fait fondre à son tour. Autonomes, qui existeront pendant des siècles. On en reparlera au moment voulu.
Bref, on a assez vite révisé tous mes projets semi-faits, on a élaboré la stratégie, et on s’est mis au travail. Ce sera notre petite empire médiatique et numérique. Plusieurs branches, qui poussent du même arbre, tous ces projets seront liés et s’entraideront.
Je ne vais pas rentrer dans les détails de suite, ça n’a aucun sens. Mais je peux déjà vous annoncer que la première chose qu’on va faire c’est lancer une agence de développement de sites web. C’est ce qui peut nous rapporter des revenu là maintenant. Moi je ferai le code, elle vendra et s’occupera des clients, et très vite je pense on va embaucher les gens pour ces deux activités et avancer dans d’autres branches prévues.
On commence par cela, car non seulement c’est ce que je fais depuis mes 17 ans et j’ai donc l’expertise et le savoir-faire, mais parce que j’ai aussi des morceaux de code que j’ai créés avant, qui permettent de lancer un site assez complexe du genre communauté, média, site d’avis et toutes sortes de portails, donc le développement se fait en très peu de temps, ce qui nous laisse une marge assez importante et permet en même temps de faire des prix intéressants pour les clients. Ils ne trouveront pas moins cher si vite fait et de cette qualité. Développer une communauté à partir du zéro peut prendre plusieurs mois, voir un an ou même plus. Nous, on peut le faire en deux semaines, et encore, avec le temps on pourra augmenter la vitesse.
Je finis notre site où seront présentés nos services et je vous envoi le lien, car si jamais vous nous ramener des clients pour le développement, vous aurez une commission de 10%. Ce qui peut faire des montants assez importants, donc pourquoi pas vous remercier de cette façon. Il y a des gens qui gagnent leur vies avec des commissions comme ça.
Et encore une chose.
Je ne vais pas bien sûr abandonner mes podcasts, ni le projet Kiosque, ni nos missions humanitaires actuelles qu’on essaie de continuer malgré tout. Je vais vous en parler, vous montrer ce qui se passe ici, ce que nous faisons. C’est devenu une partie importante de ma vie, mon grand plaisir qui réchauffe toujours le cœur, et pas que le mien.
Mais je ne vais plus jamais vous demander des dons.
Il y aura toujours les liens pour participer en bas de mes lettres et sur mon blog, vous pourrez toujours participer, si le coeur vous en dit. Et c’est vrai que les problèmes, y en a toujours. Même si on a réussi pas mal de missions ensembles, ce ne sera jamais assez, vous le savez très bien. Même quand la guerre sera terminé (et elle le sera, il n’y a pas de doute), on ne vas pas abandonner cette nouvelle partie de notre vie, on va même fonder une vraie association, mais qui ne vivra pas elle-même des dons, comme font beaucoup d’autres. Aucun employé ne sera payé des dons reçu des gens.
Mais voilà. Demander de l’aide, ni pour moi, ni pour les autres, je n’en peux plus. J’ai honte. Je me trahis un peu, car ce n’est pas ma vraie nature. Vous remercier, par contre, pour tout ce que vous avez déjà fait, je veux bien. Je n’arrêterai jamais de le faire. Ça ne s’oublie pas.
Vous êtes des personnes merveilleuses, avec un grand cœur, qui rendent ce monde meilleur.
Merci d’avoir lu ou écouté cette lettre.
Bien à vous,
Artem.
P. S. Je vais bientôt écrire la prochaine chronique pour RTBF, la dernière de cette série dans le Fin Mot, si j’ai bien compris, après c’est les vacances d’été. Et je pense que je ne pourrai pas vous écrire avant la diffusion, qui aura lieu, normalement, le 21 juin, donc sauf changement, prochain rendez-vous à la radio.
Снежинки
Le Fin Mot | Épisode 3
Oh, cette guerre. Rien que de répéter ce mot me gonfle à chaque fois. Envie de se cacher, envie d’oublier… Tout à fait normal, mais on ne peut pas. Pas parce que c’est impossible. Juste parce qu’on vit dans un monde réel, que l’on le veuille ou non, et ça en fait partie.
Quand je reçois une demande de collecte de fonds, je passe par plusieurs étapes avant de pouvoir le faire. Ça me bloque pour un moment. Je vois le message, mais je ne le lis pas de suite. Je sais que je ne vais pas refuser, mais il me faut du temps.
Je me blâme d’abord de ne pas avoir assez de fonds moi-même pour juste envoyer ce qu’il faut et ne plus en parler. Je me blâme ensuite de ne pas avoir assez utilisé ma voix, mon écriture, pour agrandir la liste de gens qui se sont abonnés à ma lettre d’information, de ne pas avoir assez de notoriété, si j’ose dire, alors que je pourrais : je vois les lettres et les dons es gens.
Le problème est qu’ils ne sont pas si nombreux pour ne pas remarquer que ce sont toujours les mêmes personnes qui participent donc à chaque fois j’ai l’impression de les dérober, ça me fait sentir comme si j’étais un mendiant. Je me sens tout nu. Et puis, je me dit souvent que j’oublie nos amis aux front, qui nous protègent chaque seconde, chaque jour, et que je me permet trop quand je fais mes courses, quand je sors avec les amis, quand je bois tranquillement mon café du matin en face, parce qu’il est bon, parce qu’il fait beau, et la serveuse est belle. Je travaille, j’ai bien le droit, mais eux ? Ils travaillent beaucoup plus, et ils risquent leur peau pour nous, et ils sont en manque permanent de tout. Même le plus nécessaire. Sans parler des armes.
Je me sauve pour un moment dans la poésie, dans les livres, dans le bois. Je chante, je m’amuse, je fais quelque chose qui me fait plaisir, qui me ressource. Et ce n’est qu’après que j’écris. Ce n’est qu’après toutes ces réflexions que j’ose demander de l’aide aux gens. Je me dis que, s’ils sont toujours là à me suivre, c’est qu’ils pensent peut-être comme moi : on ne peut pas abandonner. Pas parce qu’on n’a pas le droit. Juste parce qu’on ne peut pas autrement.
Et puis j’écris, les paroles viennent toutes seules. Les gens répondent, participent. On arrive à réussir telle ou telle mission. Ça fait plaisir. Ça fait chaud au cœur. C’est pas grand chose à première vue, mais.. Essayer de créer une fleur par exemple, une toute petite fleur. À partir de rien, sans rien sous la main. Et pourtant, quelqu’un l’a bien créée, non ? Quelqu’un l’a trouvé pas si inutile que ça, pas si petite, assez importante et même indispensable pour se donner la peine, ou plutôt le plaisir de la créer.
Quelqu’un, qu’on connaît pas trop, mais qu’on aimerait bien connaître. Moi en tout cas je suis très curieux. Je le cherche partout celui-là, dès que je m’en souviens et c’est vrai que, si on regarde bien, il est quand-même bien présent. Il est bien là, dans chaque petite chose, dans chaque petite action. Ne lui donnons pas de noms au cas où, pour ne pas se déchirer. C’est bien humain de se déchirer à n’importe quelle occasion. C’est bien humain aussi de nier son existence, mais bon… pour lui ou elle ou eux (je ne suis pas encore fixé la-dessus, c’est encore notre truc humain, on adapte tout à notre niveau, à nos capacités et différences), je ne pense pas que ce soit si grave qu’on ne s’en rend pas compte à chaque seconde de notre existence. Mais quand-même, est-ce que vous avez essayé de bien vous regarder droit dans les yeux devant un miroir ? Pendant un bon moment ? On se maquille, on se prépare, on vérifie si on est assez beau pour sortir, mais on évite de se regarder dans les yeux. Alors que tout est là. Quand quelqu’un est mort, ils sont bien vides ses yeux. Ils insistent même à manifester que cette personne n’est plus limitée par son corps. Alors tant qu’on est là, fixé dans ce truc incompréhensible qui est notre corps, profitons. Surtout quand on est avec quelqu’un. On peut passer toute une soirée sans se regarder dans les yeux. Des fois, toute une vie. C’est très dommage. C’est beau, c’est direct, c’est honnête les yeux. Cruel des fois. Mais ça reflète bien l’essentiel. Sans même dire un mot.
Les soirées, d’ailleurs, on en fait beaucoup en ce moment en Ukraine. On a bien compris, que la vie est courte et qu’il ne faut pas s’enfermer dans son cocon. Un monsieur assez connu a dit que l’enfer c’est les autres. Moi je pense, que les autres, c’est bel et bien le paradis. En chair et en os. Et les yeux bien sûr, faut jamais oublier les yeux. Si vous croisez un cosmonaute qui a vu notre terre bien aimée et très mal traitée de loin, demandez-lui ce qu’il y a de plus intéressant dans l’espace. Il vous dira, je suis sûr, que c’est les autres cosmonautes. Les autres, ce n’est pas une torture, c’est au contraire, un pure plaisir. Si on est soi-même bien sûr. S’il faut jouer, mentir, prétendre… même pas la peine, on a très vite envie de retrouver son cocon. Mais ce qui est bien aussi après plus de deux ans sous les bombardements pratiquement quotidiens, c’est qu’on a de moins en moins besoin de mensonges, d’hypocrisie. Ça se nettoie petit à petit, beaucoup de gens ont retrouvé leur vrais envies, se sont mieux compris, ne gaspillent pas le temps et l’énergie pour les choses qui ne sont pas les leurs. Automatiquement ils sont plus heureux et moins embêtants pour les autres. Ils ont de moins en moins besoin de mentir, de jouer et de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Et finalement on peut remarquer qu’il y a quand même plus de bien que de mal dans les humains. Le mal, en fait, c’est le mensonge, c’est la poussière, qu’on a accumulée pour soi-disant se protéger (ce qui est aussi un gros-gros mensonge) et qui s’enlève très facilement, si on le veut bien, ou si on nous force bien. On n’a pas à avoir honte de ses actes, de ses choix. De son corps surtout. Ou son lieu de naissance. Ses parents. Sa famille. Ça, on ne l’a même pas choisi en plus. On n’a pas à avoir peur d’être jugé (surtout si c’est par le tribunal de La Haye pour certains, permettez-moi de rêver un peu). J’ai remarqué aussi, que les gens qui ont compris ça, qui ont retrouvé plus ou moins, leur propre chemin grâce à l’enlevage de toute cette poussière, sont aussi moins inquiets. Ils n’ont plus besoin de mentir à soi-même et aux autres, du coup ils n’ont plus peur de ne pas vivre assez longtemps pour pouvoir finalement être en accord avec leur âme. Ils font ce qu’ils veulent dans cette vie. Ils ne font pas ce qu’il ne veulent pas. Ils n’ont pas à s’excuser, à se culpabiliser, à se victimiser non plus. Ils se sentent heureux quand ils se réveillent, quoi. Mourir là, maintenant, ou après, c’est juste qu’on s’amusera moins ou plus, c’est tout. Parce qu’ils amusent ces gens-là, malgré tout. Ils bouffent la vie comme si c’était un délicieux gâteau qu’ils pouvaient enfin s’offrir, un gâteau dont ils entendaient parler depuis longtemps, mais dont le seul endroit où ils pouvaient le goûter était si loin qu’ils n’y étaient arrivés que maintenant, à travers les montagnes, les mers, les fleuves et les champs. Et ils en profitent. Ils y vont à toute vitesse. Et une fois le vrai chemin retrouvé, ils ne vont plus le lâcher. Pas la peine d’essayer de leur arracher ce gâteau. Ils vont vous bouffer avec. Ils sont très passionnés ces gens-là. Et ça se voit de loin même s’ils sont fatigués. Il suffit de regarder dans leurs yeux. Faut jamais oublier les yeux. C’est très important les yeux, je vous ai déjà dit.
Ce qui est très bien aussi, quand on enlève sa propre poussière, c’est qu’on voit très bien celle des autres. Sans juger hein, attention. On n’en a rien à foutre franchement, quand on est heureux. Mais on la voit. Et on trouve injuste qu’elle ne soit pas enlevée. Ça gratte de l’intérieur. On attend une occasion pour la retirer amicalement, sans embêter la personne, sans interrompre la conversation, juste parce qu’on l’a remarqué et la personne est belle et la poussière ne lui va pas du tout et pourquoi donc ne pas l’enlever et puis on n’en parle plus on continue notre conversation. Il y en a beaucoup. En Ukraine, en Europe, en Russie, aux États-Unis ou ailleurs. En fait, ce qui se passe en ce moment en Ukraine, ça arrange tout le monde. C’est toujours le mensonge, l’hypocrisie qui dirige ce monde. C’est toujours les intérêts, qui valent plus que les être humains. Cette poussière d’égos bien gonflés qui est depuis toujours sur les épaules de ce monde. Allez retrouver quelqu’un dans la rue qui est heureux, qui est bien d’accord avec soi-même, qui fait ce qu’il a envie de faire dans cette vie. Vous le reconnaîtrez facilement par ses yeux (faut jamais oublier les yeux !) Demandez-lui s’il faudrait bien faire la guerre à quelqu’un à cause de ce que vous voulez : la langue, la nationalité, le territoire, la justice historique, le terorisme, l’immigration, la couleur de la peau, la couleur des poils sur le dos (pourquoi pas?), la religion bien sûr (j’ai failli oublier), le manque de pouvoir, la rancune, la tristesse, l’amour à la fin. Trouvez-lui n’importe quelle excuse, n’importe quelle prétexte que vous croyez grave et justifié. Et posez-lui bien cette question. Et souvenez-vous bien de son regard. Parce qu’il ne vous répondra même pas avec des mots. Rien qu’avec les yeux, qui vous diront tout.
Allez retrouver cette même personne encore une fois et posez-lui une autre question. Est-ce qu’il faut se défendre, si on te fait la guerre. Si on tue et viole tes compatriotes, en te bouffant le territoire, rien que pour le plaisir ou parce qu’ils n’ont pas aimé l’occupation ou ne trouvent pas juste de changer de citoyenneté par force. Si on bombardent les immeubles en pleine nuit où les hommes, les femmes et les enfants dorment. Pendant les alertes oui, parce qu’on ne les entend plus, tellement c’est devenu une habitude. C’est ce qui est arrivé à l’Ukraine. Vous le savez très bien. Les excuses et les prétextes des Russes ne justifieront jamais cette guerre. Et je comprends très bien, que les Ukrainiens veulent aller jusqu’au bout. Il y va de leur existence. Ni plus, ni moins.
Sinon, en attendant qu’on soit un plus nombreux dans cette secte de regardeurs droit dans les yeux, je vous donne quand-même quelques brèves actualités, ce que j’ai sur le cœur.
La météo
Avec un temps pareil pour travailler il vaut mieux être passionné sinon impossible de se forcer. On a envie de sortir, de se balader, d’aller voir la mer. D’aller voir les gens. Et on le fait, on ne se gène pas. C’est plus fort que nous. Guerre ou pas, il faut bien profiter d’une météo pareille. Il ne fait pas encore trop chaud, mais finalement, il ne fait plus froid. Qu’est-ce que ça soulage. C’est merveilleux le printemps à Odessa. Vous devriez goûter un jour.
Les bombardements
Ça continue. Pas tous les jours, mais plusieurs fois par semaine. Je ne parle pas du front, là c’est sans arrêt. Je parle des villes, pleines de civiles. Comme Kiev, Kharkiv, Odessa et les autres. Je ne sais plus trop ce qu’ils visent nos voisins. Je sais juste qu’ils arrivent à toucher plus et à tuer plus de gens, parce qu’on a de moins en moins d’armes et eux, au contraire, ils ont de quoi bourrer nos nuits d’alarmes. Ça n’arrête pas quoi. Ça ne fatigue même plus. On est fatigué d’être fatigué. Vaccinés, je ne dirai pas, parce que ne pas faire attention, ça n’aide pas non plus, on a plus de risque si on ne descend pas au sous-sol pendant les alertes. Mais on s’en fout de plus en plus, c’est une habitude, on est beaucoup moins sensible aux alertes.
Les coupures d’électricité
Ah, celles-là, on les attendait pendant tout l’hiver. On se préparait, on était content d’être bien préparé. Je parle des gens, des générateurs, des batteries et tout le toutim. Les politiques, finalement, non, ils ont gaspillés les fonds on ne sait pas où, espérant peut-être que ça ne se verra pas. Et bien, ça se voit, avec quelques mois de retard (nos voisins, on les excuse, hein, pour ce petit décalage). Il paraît que rien de ce qui était prévu n’a été fait pour moderniser l’infrastructure et devenir moins sensible aux bombardements, et on va probablement se retrouver sans électricité en été, en automne et en hiver 2024. Tout inclus quoi. La chaleur sans moyen de se rafraîchir, la fraîcheur, sans moyen de se réchauffer. Bon, moi, personnellement, je ne m’inquiète pas trop pour moi et pour un certain nombre de gens que le point d’invincibilité qu’on a construit grâce à votre aide, peut accepter. On a même une machine à laver et une douche. C’est très important de rester propre, presque aussi important que les yeux. Mais il y a quand-même du boulot à faire pour encore mieux se préparer, parce que l’essence, on peut se retrouver sans, donc le générateur, il servira à rien. Et l’eau, elle peut partir aussi, car les pompes ici, elles marchent à l’électricité, si j’ai bien compris. Il y a toujours un peu de soleil, même en hiver, donc je prévois d’installer quelques panneaux solaires et d’acheter plusieurs batteries dès que possible. On n’est jamais trop prudent.
L’amitié politique
Qui, on a bien compris, n’existe pas. Au début on n’arrêtait pas de traiter d’ami n’importe quel pays qui nous aidait avec des armes ou humanitairement, petit à petit on a commencé à être plus pointilleux, à faire même des classements en fonction du soutien reçu. Comme des gamins en fait, infantiles, il faut bien l’avouer. Et toujours comme des gamins, mais cette fois vexés on traite tous de traîtres maintenant, on se sent abandonné. Remarquez, il est pas difficile de le prendre comme ça, quand vous n’avez pas assez de systèmes anti-aérienne pour se protéger, quand les gens sont morts à cause des bombardements, et quand pour l’éviter il vous en manque 7 ou 10, alors qu’il y a des pays qui en ont plus de 1000 et ils ne s’en servent même pas en ce moment… Un ami, normalement, il ne t’envoie pas une fourchette en plastique, quand quelqu’un, plus fort que toi en plus, t’agresse. Il vient se battre à tes côtés et les fourchettes il en prend avec lui autant qu’il peut amener, et des vrais en plus, en fer. Donc, amitié entre les États, il faut bien se débarrasser des illusions pareilles.
Les sentiments, la famille
Les gens se marient toujours, ils divorcent toujours, ils font des enfants, ils en perdent aussi, malheureusement. Moi en ce moment je me sens bien amoureux. Ça ne m’est pas arrivé il y a un bon moment et comme je ne veux faire du mal à personne, y compris à moi-même, j’essaie de ne pas trop faire mes avances, pour pas que ça avance, voilà. J’en fait quand-même un peu, dans les limites de la gentillesse, ça vient tout seul et il est dur de s’en empêcher. Et je pense que ça se voit très bien que je ne suis pas indifférent, mais j’ai vraiment du mal. Du coup, j’attends, comme un crocodile ou plutôt comme un con, je ne franchis pas la ligne. Je le dis à vous parce que vous vous en foutez forcément et ça m’arrange très bien. Merci de m’avoir écouté, c’est gentil de votre part.
À tous les saints
J’ai entendu il y a longtemps une phrase. La citation était plus ou moins la suivante : On peut tromper quelqu’un pendant toute sa vie, mais on ne peut tromper tout le monde que pendant un certain temps. C’était un cours de philosophie, on parlait d’Hitler, de la deuxième guerre mondiale, des camps de concentration. On essayait de comprendre pourquoi cela a été possible. On parlait aussi de Staline qui ne s’est pas très éloigné de l’autre dans son œuvre.
Poutine, ce malheureux, il doit être content d’observer les résultats de ce qu’il a fait. Tout le monde se déchire, tout le monde s’accuse. En Ukraine, en Europe, aux États Unis, dans le monde entier. Il n’a pas pris l’Ukraine en trois jours comme il voulait, mais bon, il a compris la leçon. Un peu plus de temps, un peu plus de morts, et il est toujours au pouvoir, il gagne toujours des milliards, on fait toujours du business avec lui, il a éliminé toute opposition possible au sein de la Russie, il se fait des amis parmi les autres malheureux qui aimeraient bien profiter de cette faiblesse de l’occident et moi personnellement je ne vois pas pourquoi il s’arrêterait. Tout va bien pour lui non ?
Je sais que personne ne croyait que l’Ukraine pouvait résister à une telle armée. Qu’on la considérait cette armée comme une vraie force contre laquelle on a construit toute une OTAN. Mais sera-t-elle prête, cette association à se servir de ce fameux article 5 de son traité ? En voyant l’Ukraine, qui protège, jusque-là, cette union, qui ne permet pas à l’armée de Poutine d’avancer plus loin, qui l’enterre cette armée, en enterrant aussi la sienne et qui, en retour, reçoit de moins en moins d’armes et des accusations en plus de ne pas avoir bien avancé, alors qu’il n’y avait vraiment pas avec quoi, et ils le savent, ceux qui accusent, je ne serais pas si sûr que cet article soit toujours d’actualité. Comme je ne suis pas sûr que si ce n’était pas l’Ukraine, dont les militaires sont des vrais guerriers, si Poutine avait décidé d’attaquer directement un pays membre de l’OTAN, ce pays victime n’aurait pas été effectivement envahi en trois jours. Et des excuses, c’est toujours facile à trouver.
On les a bien trouvés pour le mémorandum de Budapest.
Pour l’Ukraine ça n’a pas marché comme prévu, d’accord. Poutine s’est cassé la gueule au début. Beaucoup de politiques ont été étonnés. Beaucoup de pays membres de l’OTAN ont promis des armes, ils ont participé, beaucoup, au début. Mais jusque-là certaines de ces promesses n’ont pas été tenues.
Poutine, en attendant, a su changer de stratégie et chaque jour il devient de plus en plus fort. Je ne sais pas combien de temps encore les soldats ukrainiens pourront retenir ce monstre dans ces conditions, mais ça me parait évident que si les conditions ne changent pas, si les aides militaires n’augmentent pas vraiment, l’OTAN aura un jour affaire directement à Poutine qui sera, à ce moment-là, encore plus fort, parce qu’on lui aura permis de le devenir. Et il sera bien dispo avec toute sa machine de guerre qu’il est en train de construire. Et il sera bien fier de lui, ayant vu cette attitude envers l’Ukraine. Ça lui servira d’exemple. Et ça lui donnera envie.
N’allez pas croire que c’est impossible. Cette guerre-même semblait impossible et pourtant on est bien dedans jusqu’aux oreilles, même pas jusqu’au cou.
Pour nous, c’est assez simple, soit on gagne malgré tout, soit on meurt. Comme pays, comme culture, comme personnalités. Parce qu’il n’est pas possible de vivre dignement sous un régime pareil, donc on ira jusqu’au bout, on n’a pas le choix, on sait très bien ce qu’on risque.
Pour les autres pays qui voisinent avec la Russie, j’aimerais bien conseiller quelque chose, mais je ne trouve rien, à part d’appuyer plus sur les politiques, qui retiennent sous telle ou telle excuse les aides pour l’armée ukrainienne. Eux, ces pays, ils savent aussi ce qu’ils risquent. Ils ont déjà essayé. Personne n’a aimé.
Avec cette guerre en Ukraine l’OTAN a la chance de toute son existence d’en finir avec la façon d’être des régimes en Russie, qui la menacent depuis des décennies, qui nie toute démocratie, tout respect de la vie humaine, des droits de l’homme, si on s’en souvient encore. Ils ont cette chance unique, ces pays de l’OTAN, d’y mettre fin sans sacrifier une seule vie de leurs citoyens. Sans avoir un seul enfant mort sous un bombardement. Sans avoir une seule femme veuve ou violées par des soldats déchaînés qui se croyent tout permis. Ils ont cette chance, eux. Ils ont ce choix. Il serait très dommage de ne pas en profiter. Il serait très dommage de perdre l’Ukraine et d’avoir à affronter ce monstre directement.
Regardez si vous avez un moment la vidéo de Mariupol de 2022, ville heureuse, illuminée pour les fêtes de Noël. Ville ukrainienne, mais russophone. C’est rasé. Il n’en reste plus rien. Les Russes sont venus la reprendre, la sauver comme ils disaient à l’époque. Ils ne le disent plus. Ils ne se cachent plus. Ils rasent tout simplement.
Je peux comprendre qu’on a cru que la Russie avait toutes les chances de devenir un pays démocratique après la chute de l’Union Soviétique. Je suis né en 1989 et pendant toute mon enfance j’ai assisté à cette liberté qui était si proche, qui grandissait avec moi. Je ne connaissais même pas autre chose. C’était tout naturel.
Je me souviens aussi de cette liberté d’expression à la télé, mon grand-père y travaillait. Ils se croyaient tout permis ces adultes, ils pouvaient enfin respirer, ils s’imaginaient un avenir. Ils pensaient que toute cette période était bien finie. Je me souviens de cette ambiance merveilleuse, quand j’étais gosse. Et du moment où elle a été cassée. Quand j’ai su qu’un parent lointain s’en est allé faire la guerre en Ichkérie pour l’argent, il a choisi de tuer les gens pour nourrir sa famille. Je n’ai jamais compris, j’ai été bouleversé.
Depuis lors, les conflits militaires avec les pays voisins ne s’arrêtent pas et sont de plus en plus meurtriers. Et leur croissance coïncide parfaitement avec l’assassinat progressif de la presse libre et la restauration du régime autoritaire, ainsi qu’avec l’augmentation permanente du niveau de propagande que Goebels envierait aujourd’hui.
Donc, si on veut tenter sa chance et laisser l’Ukraine à Poutine, espérant qu’il n’ira pas plus loin, on peut le faire bien sûr. Mais ça peut coûter encore plus cher que ça a déjà coûté à beaucoup de gens, à beaucoup de familles.
On ira bientôt encore une fois dans un camp de réfugié à Koblévo. C’est un orphelinat. On va essayer d’apporter des cadeaux, des gâteaux. 120 enfants, qui n’ont plus de parents. Qui ne les auront plus pour toute leur vie. À jamais. Definitivement. Sans objection. Ils ne peuvent pas changer ça, personne ne le peut. Il y en a qui ont 3 ans, 4 ans. Il y en a qui ont plus. Tous réunis pour une seule raison. La guerre. Tous avec le même sourire qui dépasse bien l’âge qu’ils ont.
Quand je les vois, je pense aussi à ma petite sœur qui n’a que trois ans, que je n’ai jamais vu en vrai. Seulement en vidéo. Elle est tellement joyeuse, elle ne sait pas encore quel monde de connards on a créé. Elle va se poser bientôt des questions genre pourquoi on ne peut pas se voir, elle en Russie, moi en Ukraine. Je vais devoir un jour lui expliquer des choses que j’aimerais ne pas avoir à expliquer à un enfant.
Les enfants, ils n’ont pas de nationalité, ils ne devraient pas. Maman, papa, c’est presque pareil en toutes les langues. C’est nous les soi-disant adultes qui la leur prescrivons, leur nationalité, en leur mettant aussi sur les épaules toute cette saloperie de conflits congelés que l’on n’a pas su résoudre nous-même.
Et ça continue, ça n’arrête pas. Ça n’arrête jamais.
Je vais dire une banalité, mais il est temps que le monde trouve une solution, surtout si aider l’Ukraine militairement n’est plus une option. Avec notre intelligence, nos technologies d’aujourd’hui, on pourrait au moins essayer, non? On fait des choses impossibles, inimaginables il y a quelques dizaines d’années, et on s’entretue toujours comme des barbares. Qu’est-ce qu’il faut faire alors pour arrêter cela? Pour comprendre qu’une vie, une seule vie humaine, est déjà un miracle en soi. Et que ce ne sont surtout pas nous, les humains, qui avons le droit d’en priver quelqu’un.
C’est ça que j’aimerais demander à Saint Nicolas et à tous les saints de toutes les religions. Qu’ils nous guident vraiment, tous ensemble. Peut-être que là, ce n’est plus à l’Europe, ni aux États-Unis, c’est vraiment à eux de se réunir, parce que nous, les humains, on ne s’en sort plus. Qu’ils nous aident, si possible, à enterrer nos torts et à voir nos différences comme quelque chose de beau et de créatif, au lieu de se déchirer à chaque occasion. N’a-t-on pas assez souffert jusque-là ?
N’a-t-on pas assez fait pleurer nos enfants, nos pères et nos mamans ?
Chaussettes pour blessés
Bonjour à toutes et tous, j’espère que vous vous portez bien et que vous avez pu profiter un peu de ces quelques jours fériés.
Nous, on a quand-même eu droit aux feux d’artifice, on dirait qu’ils ont eu une promotion de Noël mes compatriotes, il y a eu des morts, des blessés le 31 et les jours suivants, mais tout ça, tout compte fait, ne change pas grand chose. Ce sont des criminels, et on n’a qu’à les arrêter le cœur froid, point barre. J’ai commencé à écrire mon podcast du mois de janvier. Comme vous le savez, à la radio on a changé un peu le programme (j’en aurai des nouvelles bientôt), donc je vais le publier sur le blog seulement d’ici quelques jours.
La guerre, elle est pleine de contradictions. Quand on parle avec des amis de ce qui se passe autour de nous il y a de quoi être content et pleurer dans une seule phrase. Et quand je lance une mission, j’ai aussi des contradictions. Je n’aime pas demander, mais je suis bien obligé quand il le faut. En plus, je sais que ça vous fait plaisir quand on réussit quelque chose ensemble.
Pour Mykolaïv on a le camion qui arrive début février, grâce à Serge et Céline, deux français de Lyon. C’est déjà très bien. Mais il y a Tatiana, la femme de Nikolaï, pilote de drone, dont je vous ai déjà parlé, qui m’a écrit presque en pleurant le 27 décembre.
À l’époque elle faisait des chaussettes pour les blessés dans les hôpitaux. C’est tout un problème, quand on est blessé et accroché à des appareils. On ne peut pas se couvrir, s’habiller, on est allongé pendant des jours et des jours et on a très froid au bout d’un moment. Elle a donc inventé les chaussettes avec lesquels on peut habiller les blessés, avec des boutons, non seulement pour les pieds mais aussi pour les bras. Et ça aide beaucoup. Les gens l’ont contactés récemment pour en demander encore et surtout d’une manière régulière.
Et depuis déjà deux semaines elle n’arrête pas d’en fabriquer. La première partie est déjà prête et envoyée, on a pu acheter ce qu’il faut nous-même et puis elle s’est aussi servi de tous les restes de vêtements cousus qu’elle a pu trouver. Elle est prête à ne s’occuper que de ça, elle n’a plus de travail et son mari est au front et c’est aussi une sorte de méditation pour elle, pour ne pas devenir dingue, parce qu’elle s’inquiète pour lui énormément chaque jour et chaque nuit.
Elle dort mal, elle mange difficilement.
Et même que ça ne coûte pas énormément, ça coûte quand-même. Je ne gagne pas encore assez d’argent pour couvrir cette mission tout seul d’une manière régulière, donc je vous propose de participer en fonction de ce qui est possible pour vous.
Le budget mensuels est de 400 euros, ce qui permettra d’acheter le matériel pour 120 chaussettes. Grâce à ça chaque mois 120 personnes de plus n’auront plus froid dans des hôpitaux. Et ça leur fera un peu chaud au cœur aussi, parce qu’il est vrai que dès que tu n’es plus au front, tu n’es plus la priorité. On manque déjà de tout, et les blessés… il fait ce qu’il peut l’État. On en parlera dans mon podcast.
Autre problème, comme c’est souvent le cas au front, la voiture que nous avons acheté pour l’équipe de Nikolaï, est à réparer (elle a tenu longtemps celle-là, tenace !). Plus les roux d’échange. Le budget totale est de 714 euros, dont on a déjà pu rassembler 250 en Ukraine.
Merci pour votre aide !
Portez vous bien,
Artem.
Rapports photos et vidéo
25.01.2024
À l’Est, rien de nouveau
21 mois de guerre. On est fatigué. On est épuisé. On n’en voit pas la fin. On est mécontent. On est furieux. On trouve de moins en moins juste ce qui se passe, ce qui s’est passé, ce qui peut se passer encore. Mais on continue, parce qu’on n’a pas le choix.
On a déjà perdu des gens. Beaucoup. On a perdu des territoires. Et il y a de moins en moins de personnes qui espèrent regagner les frontières d’avant très vite. Et ce ne sont surtout pas les militaires. Eux ils savent à quel point c’est difficile, à quel point on manque de tout pour pouvoir le faire.
Et ce ne serait pas juste de se payer ses objectifs auparavant indiscutables, devenant maintenant très floue, avec leur peau, avec leurs vies. Eux qui sont dans les tranchées, qui y seront pendant tout l’hiver, dans le froid et l’humidité, ils vont se demander tôt ou tard, s’ils ne le font déjà, à quoi ça mène tout ça, contre quoi échange-t-on leur santé, leur confort, leur vie qui souvent n’a duré qu’une vingtaine d’année.
À 21ème mois de guerre, ce sont toujours des bénévoles qui s’occupent de beaucoup de choses indispensables au front. Même les choses les plus simples comme les vêtements, les médicaments et même les drones. On n’arrête pas avec ses cagnottes, sauf que les gens n’ont plus d’argent pour ça, et ils se posent aussi des questions.
C’était naturel au début, c’était tout nouveau et on se sentait bien en le faisant, mais quand on voit que rien n’a changé après presque deux ans, on se sent triste, pour ne pas dire trahi. Surtout quand on voit les dépenses inutiles des villes et des régions. Donc évidemment une grande discussion se déroule en société, un grand mécontentement se gonfle et allez savoir à quoi ça va nous mener tous.
Une chose est sûre et certaine, on ne peut plus continuer comme ça. D’une manière ou d’une autre, il faut augmenter l’efficacité de l’État, de tout le système, de tous les fonctionnaires. Rien qu’avec l’enthousiasme des militaires et des bénévoles, on n’ira pas très loin. Il ne faut pas tomber dans une dépression, pleurer ou se désespérer, mais il faut savoir reconnaître ses erreurs et surtout changer, quand il le faut.
La Russie n’a jamais eu autant de soutien que l’Ukraine, ils se sont beaucoup trompés en déclenchant ce conflit, ils étaient tellement sûrs d’envahir l’Ukraine en quelques jours, que leurs premiers soldats avaient des uniformes de parade pour la marche de la victoire. Mais avec le temps ils se sont adapté, ils ont compris et avoué leurs erreurs et maintenant ils sont prêts à continuer longtemps.
Ils mobilisent leurs usines, augmentent encore la production des armes et surtout avec leur propagande et leur niveau de vie très bas, avec leur totalitarisme qui s’aggrave, ils peuvent toujours trouver quelques millions de cons pour les envoyer au front. Ils représentent le mal bien sûr, mais ce mal devient de plus en plus efficace, si on oublie un peu les sentiments en se mettant devant une calculatrice.
Bien sûr on peut se plaindre sur les livraisons d’armes qu’on n’a pas eu assez, qui n’ont pas été à temps, ce qui a aidé en quelque sorte les russes de ne pas perdre cet été et de pouvoir changer leur stratégie. Bien sûr on peut se poser des questions sur les raisons de ces “pas assez” et “pas à temps”. Mais on ne peut pas nier non plus les problèmes intérieurs. On discute beaucoup sur la corruption, et on arrive à empêcher de plus en plus cette corruption grâce à la presse, grâce à la pression des gens. On discute aussi sur les moyens de changer le système actuel, qui ne fonctionne pas comme il faut, et par conséquent, sur les élections qui normalement devait avoir lieu en mars 2024.
Si jamais ils ont lieu, pour moi ce sera encore une fois la confirmation de la liberté d’esprit en Ukraine. Et ça va aider à reconstruire la confiance entre les gens et les dirigeants du pays, qui seront choisis, imaginez-le, malgré la guerre, malgré tout ce qui ne va pas, malgré tous les risques que ça représente.
Ça va confirmer encore plus les valeurs pour lesquelles les Ukrainiens se battent actuellement, et ils vont se battre davantage, parce que pour les ukrainiens, en tout cas ceux que je connais, il ne s’agit pas de seulement reprendre les territoires. Il s’agit surtout de pouvoir être libre sur ce territoire. Être indépendant, rester soi-même. Et pouvoir changer sa vie et son pays, au cas où ça ne va plus.
C’est aussi pour cela, que les discussions sur la paix avec la Russie, me rendent un peu triste. Ils ont lieu, parce qu’on est fatigué. Et le monde entier qui nous soutient est fatigué aussi. Mais n’a-t-on pas compris qu’on ne peut pas faire aucune confiance à Poutine ? Aucun papier signé par lui ne donnera aucune garantie et lui permettra seulement de gagner du temps et c’est justement ce qu’il lui faut.
Et je ne sais pas pourquoi on le garde, lui. Pourquoi le préserve-t-on ? Peut-être espère-t-on sérieusement qu’il va rejoindre le monde civilisé dans d’autres conflits qui vont se dérouler prochainement ? Comme l’a fait Staline à l’époque ? Parce que ce n’est peut-être pas lui qui a participé un peu à ce qui se passe à l’orient ?
C’est compliqué la géopolitique. Et ce sont rarement les politiques qui se la payent avec leur propre vie. Ils préfèrent celles des autres. Sentent-ils au moins leur responsabilité, quand ils prennent telle ou telle décision ? Il va mal, ce monde. Très mal.
Mais il a toutes les chances d’aller mieux. Je n’ai pas de réponse à tout, mais j’ai vécu en Russie assez longtemps pour être convaincu que seule la défaite totale de l’armée de Poutine permettra à la Russie de rejoindre finalement le monde civilisé. Sans lui bien sûr. Et allez savoir, si cela ne va pas arrêter d’autres conflits qui fleurissent.
Quant à l’Ukraine, je sais qu’on va régler nos problèmes intérieurs. On peut s’engueuler, se déchirer, mais on est toujours unis contre le mal qui nous est arrivé, et ce qui est important, on sait le prix de la liberté, qui est au-dessus de toute ambition politique. On ne se cache rien et on arrive à se comprendre.
L’objectif est le même : arrêter cette guerre. N’empêche que, on aimerait bien que le monde civilisé ne nous lâche pas. Et je ne cesserai pas d’insister qu’il faut donner beaucoup plus d’armes aux ukrainiens, et surtout beaucoup plus vite, parce qu’ils défendent non seulement leur propre liberté, mais aussi celle des autres pays, et ils le payent, eux, avec leurs vies.
Le mal, il faut le couper, sinon il se répand et assez rapidement. Et on en a eu encore une fois la preuve.
En attendant, les militaires au front continuent à se battre, les civils continuent à les soutenir selon leurs moyens, on vit déjà avec la guerre sous la peau, c’est une habitude. Des missiles en plein centre ville, comme ce dimanche, des tentatives de détruire l’infrastructure, comme presque chaque nuit, c’est aussi une habitude, malheureusement. Et j’aimerais tellement ne pas avoir à donner des conseils sur le quotidien en guerre. J’aimerai tellement qu’elle s’arrête là où elle a commencé.
Cela ne dépend que de nous tous. On est tous concerné, tout le monde civilisé est concerné, que l’on le veuille ou non.
La ville respire
Les temps doux sont revenus pour quelques jours, avant que le froid ne commence à s’installer pour de bon. Les gens en profitent. Je me suis rendu compte, que pendant tout l’été je n’ai fait aucune sortie au bord de la mer, alors qu’elle est là à 1 kilomètre seulement. Il y a tellement de choses à faire pendant une guerre, même si tu n’es pas au front, que la vie soi disant normale est très souvent mise de côté.
Et tu te demandes d’ailleurs, ce que c’est qu’une vie normale. Les guerres font partie de ce monde depuis toujours, sauf que pas tout le monde se croise avec.
Bref, j’ai quand même essayé de corriger ce manque de respect envers la mère que j’adore, avec laquelle on a pas mal discuté en silence lors de mes premières années à Odessa, mais j’ai marché plus d’une heure et je n’ai pas pu la voir. Toutes les entrées sont bloquées. Une autre fois alors. Elle attendra. Elle attend toujours. Elle est toujours là. À la fois immobile et jamais la même. Et elle vous comprend très bien. Elle a ce don d’enlever la poussière et de vous montrer ce qui est essentiel. On se reverra bientôt.
En attendant je me contenterai d’un parc public, tout aussi joli et accueillant, on dirait un gosse par rapport à l’âge et la sagesse de la mer. Rempli de vieux arbres, de lumières jaunes chaudes comme je les ai toujours préféré, comme il y en a partout à Moscou où je me promenait très souvent à l’époque, comme il y en a partout dans ce monde, peu importe les décadences politiques pratiqué par les gens qui y vont, peu importe les malheurs et les bonheurs qu’ils traversent en ce moment.
Ils y vont, pour avoir un peu de paix, même en temps de guerre, même pendant les alertes. Il est bien rempli de gens ce parc où je me suis installé. De gens qui se regroupent autour des musiciens, qui ne chantent pas qu’en ukrainien, malgré les lois interdisant la langue de l’ennemi, des lois qui ne servent à rien, c’est même les Ukrainiens qui ont codifié le russe il y a quelques siècles. Donc les gens, ils s’en foutent un peu, ils parlent et ils parleront la langue qu’ils veulent. Ils se promènent tranquillement, ils boivent leurs boissons. Il y en a qui s’embrassent, il y en a qui sont préoccupés de quelque chose.
Je m’assois, pour me reposer un peu, faire un point, comme on dit et surtout observer cette ville merveilleuse respirer malgré les horreurs qui lui tombent dessus. Des guerres, d’ailleurs, elle en a déjà vu. Elle a même vu plusieurs gouvernements se renverser les uns après les autres en deux ans, au début du XX-ème siècle. Les Roumains, les Russes, les Allemands, les Français, les Ukrainiens, les Bolchéviques à plusieurs reprises. C’est eux qui ont gagné pour un bon bout de temps mais finalement cette ville est restée ce qu’elle a toujours été. Elle n’a jamais perdu son charme, son humour, sa joie de la vie, sa liberté, peu importe les autorités qui l’envahissent ou qu’elle accepte volontairement.
Quand j’y pense, je me demande à quoi elles servent ces guerres, à part satisfaire quelques égos bien gonflés. On dirait même que c’est une obligation de faire des guerres avant de se foutre la paix, de se concentrer sur soi-même et de foutre la paix aux voisins. On dirait que c’est une étape au cours de l’évolution tout simplement. Et bien, si c’est comme ça, vu qu’il existe encore des tribus, ce n’est pas gagné la paix dans ce monde. Les peuples s’engueulent, se font des guerres et après, quand on s’est bien amusé en s’entre-tuant, on devient amis, partenaires, tout ce qu’on veut. Pas comme si de rien n’était, non. Les horreurs qu’on a causé l’un à l’autre, on ne les oublient pas. Mais on grandit et on comprend finalement qu’une guerre ne va jamais rien apporter de définitif, pourquoi donc les commencer.
Regardez, par exemple, maintenant, les anglais et les français, les français et les allemands, les ukrainiens et les polonais, et même les allemands et les juifs.
Il n’y a jamais de victoire dans une guerre, peu importe le papier qu’on signe en lui mettant une fin. Et une fois signé, c’est là que le vrai travail commence, c’est là qu’on a le choix d’en faire une autre ou de ne jamais répéter ce cauchemar. L’Ukraine et la Russie, que leur conflit dure encore un an ou trente ans, ont tous les deux cette chance de grandir, d’apprendre chacun sa leçon, une fois la paix est signée.
Et j’espère de tout mon cœur que malgré le mal qu’on traverse, malgré la haine qu’on a eu, on saura être digne de cette chance et cette guerre sera la dernière. L’Ukraine je pense y mettra moins de temps. Et à mon avis c’est même les Ukrainiens qui vont finalement apprendre aux Russes ce que c’est que la liberté et la dignité, la vraie.
D’ailleurs, afin qu’ils ne le montrent pas, Poutine a commencé tout ce bordel en 2014. Pour éliminer cet exemple de liberté, si proche du pays, qu’il a occupé avec sa bande de voleurs. Qu’il a occupé pas forcément parce qu’il le voulait, mais une chance s’est présentée et il l’a prise. Les gens se taisaient. Ils s’en foutaient un peu. Pas tous, mais la plupart. Ceux qui avait un mot à dire, il les a réduits au silence.
Et c’est bien dommage qu’il ait choisi cette voie de profiteur et s’est servi de cette chance, de son pouvoir et de l’argent venant des ressources pour plonger son pays dans le sang, au lieu de s’en servir pour en faire un pays riche en tout : argent, innovations, niveau de vie, niveau d’éducation et surtout, liberté de l’esprit. Il aurait pu, mais il n’a pas voulu. C’est un peu plus compliqué, mais ce n’est qu’une question de choix tout compte fait. Il ne manque pas des exemples de pays qui ont su le faire.
En fait, il aurait pu être un vrai héros de la Russie, et son égo serait sûrement beaucoup plus satisfait, mais c’est trompeur un égo. Et quand c’est gonflé, il faut être très fort pour ne pas le suivre. Maintenant on voit tous cette vérité bien triste. On en subit les conséquences, peu importe si on le veut ou pas. On est bien obligé.
Mais je ne perds pas l’espoir de revoir mon pays de naissance bien guéri. Dans quelques années, dans vingt ans, dans trente ans. Plus ? Ça va arriver un jour. Et d’ailleurs, le mot guérir, ne serait-il pas lié en quelque sorte avec le mot guerre ?
En attendant, vu que j’ai eu la chance de me retrouver du bon côté, j’en profite pour faire tout mon possible en aidant les gens que je peux, en m’occupant des projets humanitaires, c’est mon petit refuge, une raison de plus pour survivre et même si ce n’est pas beaucoup, compenser un peu le mal, causé par le pays d’où je viens. Pas parce que je me sens responsable, je le suis bien sûr, comme tous ceux qui n’ont pas fait assez pour empêcher ce bandit d’agir de cette façon, mais parce que c’est le moyen d’apporter du bien à ce monde.
Je ne sais pas si je suis guidé par mon égo, ou par quelque chose d’autre, mais je sais que je ne pourrai plus m’en passer. Je ne pourrai pas ne pas faire de projets humanitaires, en Ukraine ou ailleurs. Et même n’ayant pas les ressources telles que poutine, il faut essayer, car les gens méritent qu’on leur fasse du bien, surtout quand ils en ont besoin. Si on peut le faire, il faut le faire, ne pas hésiter, ne pas se trouver des excuses. Et les Ukrainiens en ce moment, ils ont vraiment besoin de l’aide.
Les aider c’est même un investissement, un bon placement d’argent et de temps. Parce qu’ils savent distinguer les choses, ils savent apprendre, ils sont talentueux et novateurs et ils aiment bien la vie. Et maintenant en plus, ils savent le prix de la liberté. Et ils vont profiter de cette liberté pour donner au monde plus de bien que de mal, croyez moi. Et puis, ensemble on est beaucoup plus forts.
Ensemble, on arrive à traverser les épreuves qui des fois peuvent sembler impossibles à surmonter. Ensemble, on est invincibles pour de vrai.
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