Un russe en Ukraine
Le blog d'Artem SAVART

À l’Est, rien de nouveau

Version complète de ma chronique mensuelle sur RTBF du 8 novembre dans Matin Première avec Françoise Wallemacq et François Heureux.

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21 mois de guerre. On est fatigué. On est épuisé. On n’en voit pas la fin. On est mécontent. On est furieux. On trouve de moins en moins juste ce qui se passe, ce qui s’est passé, ce qui peut se passer encore. Mais on continue, parce qu’on n’a pas le choix.

On a déjà perdu des gens. Beaucoup. On a perdu des territoires. Et il y a de moins en moins de personnes qui espèrent regagner les frontières d’avant très vite. Et ce ne sont surtout pas les militaires. Eux ils savent à quel point c’est difficile, à quel point on manque de tout pour pouvoir le faire.

Et ce ne serait pas juste de se payer ses objectifs auparavant indiscutables, devenant maintenant très floue, avec leur peau, avec leurs vies. Eux qui sont dans les tranchées, qui y seront pendant tout l’hiver, dans le froid et l’humidité, ils vont se demander tôt ou tard, s’ils ne le font déjà, à quoi ça mène tout ça, contre quoi échange-t-on leur santé, leur confort, leur vie qui souvent n’a duré qu’une vingtaine d’année.

À 21ème mois de guerre, ce sont toujours des bénévoles qui s’occupent de beaucoup de choses indispensables au front. Même les choses les plus simples comme les vêtements, les médicaments et même les drones. On n’arrête pas avec ses cagnottes, sauf que les gens n’ont plus d’argent pour ça, et ils se posent aussi des questions.

C’était naturel au début, c’était tout nouveau et on se sentait bien en le faisant, mais quand on voit que rien n’a changé après presque deux ans, on se sent triste, pour ne pas dire trahi. Surtout quand on voit les dépenses inutiles des villes et des régions. Donc évidemment une grande discussion se déroule en société, un grand mécontentement se gonfle et allez savoir à quoi ça va nous mener tous.

Une chose est sûre et certaine, on ne peut plus continuer comme ça. D’une manière ou d’une autre, il faut augmenter l’efficacité de l’État, de tout le système, de tous les fonctionnaires. Rien qu’avec l’enthousiasme des militaires et des bénévoles, on n’ira pas très loin. Il ne faut pas tomber dans une dépression, pleurer ou se désespérer, mais il faut savoir reconnaître ses erreurs et surtout changer, quand il le faut.

La Russie n’a jamais eu autant de soutien que l’Ukraine, ils se sont beaucoup trompés en déclenchant ce conflit, ils étaient tellement sûrs d’envahir l’Ukraine en quelques jours, que leurs premiers soldats avaient des uniformes de parade pour la marche de la victoire. Mais avec le temps ils se sont adapté, ils ont compris et avoué leurs erreurs et maintenant ils sont prêts à continuer longtemps.

Ils mobilisent leurs usines, augmentent encore la production des armes et surtout avec leur propagande et leur niveau de vie très bas, avec leur totalitarisme qui s’aggrave, ils peuvent toujours trouver quelques millions de cons pour les envoyer au front. Ils représentent le mal bien sûr, mais ce mal devient de plus en plus efficace, si on oublie un peu les sentiments en se mettant devant une calculatrice.

Bien sûr on peut se plaindre sur les livraisons d’armes qu’on n’a pas eu assez, qui n’ont pas été à temps, ce qui a aidé en quelque sorte les russes de ne pas perdre cet été et de pouvoir changer leur stratégie. Bien sûr on peut se poser des questions sur les raisons de ces “pas assez” et “pas à temps”. Mais on ne peut pas nier non plus les problèmes intérieurs. On discute beaucoup sur la corruption, et on arrive à empêcher de plus en plus cette corruption grâce à la presse, grâce à la pression des gens. On discute aussi sur les moyens de changer le système actuel, qui ne fonctionne pas comme il faut, et par conséquent, sur les élections qui normalement devait avoir lieu en mars 2024.

Si jamais ils ont lieu, pour moi ce sera encore une fois la confirmation de la liberté d’esprit en Ukraine. Et ça va aider à reconstruire la confiance entre les gens et les dirigeants du pays, qui seront choisis, imaginez-le, malgré la guerre, malgré tout ce qui ne va pas, malgré tous les risques que ça représente.

Ça va confirmer encore plus les valeurs pour lesquelles les Ukrainiens se battent actuellement, et ils vont se battre davantage, parce que pour les ukrainiens, en tout cas ceux que je connais, il ne s’agit pas de seulement reprendre les territoires. Il s’agit surtout de pouvoir être libre sur ce territoire. Être indépendant, rester soi-même. Et pouvoir changer sa vie et son pays, au cas où ça ne va plus.

C’est aussi pour cela, que les discussions sur la paix avec la Russie, me rendent un peu triste. Ils ont lieu, parce qu’on est fatigué. Et le monde entier qui nous soutient est fatigué aussi. Mais n’a-t-on pas compris qu’on ne peut pas faire aucune confiance à Poutine ? Aucun papier signé par lui ne donnera aucune garantie et lui permettra seulement de gagner du temps et c’est justement ce qu’il lui faut.

Et je ne sais pas pourquoi on le garde, lui. Pourquoi le préserve-t-on ? Peut-être espère-t-on sérieusement qu’il va rejoindre le monde civilisé dans d’autres conflits qui vont se dérouler prochainement ? Comme l’a fait Staline à l’époque ? Parce que ce n’est peut-être pas lui qui a participé un peu à ce qui se passe à l’orient ?

C’est compliqué la géopolitique. Et ce sont rarement les politiques qui se la payent avec leur propre vie. Ils préfèrent celles des autres. Sentent-ils au moins leur responsabilité, quand ils prennent telle ou telle décision ? Il va mal, ce monde. Très mal.

Mais il a toutes les chances d’aller mieux. Je n’ai pas de réponse à tout, mais j’ai vécu en Russie assez longtemps pour être convaincu que seule la défaite totale de l’armée de Poutine permettra à la Russie de rejoindre finalement le monde civilisé. Sans lui bien sûr. Et allez savoir, si cela ne va pas arrêter d’autres conflits qui fleurissent.

Quant à l’Ukraine, je sais qu’on va régler nos problèmes intérieurs. On peut s’engueuler, se déchirer, mais on est toujours unis contre le mal qui nous est arrivé, et ce qui est important, on sait le prix de la liberté, qui est au-dessus de toute ambition politique. On ne se cache rien et on arrive à se comprendre.

L’objectif est le même : arrêter cette guerre. N’empêche que, on aimerait bien que le monde civilisé ne nous lâche pas. Et je ne cesserai pas d’insister qu’il faut donner beaucoup plus d’armes aux ukrainiens, et surtout beaucoup plus vite, parce qu’ils défendent non seulement leur propre liberté, mais aussi celle des autres pays, et ils le payent, eux, avec leurs vies.

Le mal, il faut le couper, sinon il se répand et assez rapidement. Et on en a eu encore une fois la preuve.

En attendant, les militaires au front continuent à se battre, les civils continuent à les soutenir selon leurs moyens, on vit déjà avec la guerre sous la peau, c’est une habitude. Des missiles en plein centre ville, comme ce dimanche, des tentatives de détruire l’infrastructure, comme presque chaque nuit, c’est aussi une habitude, malheureusement. Et j’aimerais tellement ne pas avoir à donner des conseils sur le quotidien en guerre. J’aimerai tellement qu’elle s’arrête là où elle a commencé.

Cela ne dépend que de nous tous. On est tous concerné, tout le monde civilisé est concerné, que l’on le veuille ou non.

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