Un russe en Ukraine
Le blog d'Artem SAVART

À tous les saints

Version complète de ma chronique mensuelle sur RTBF du 6 décembre dans Matin Première avec Françoise Wallemacq et François Heureux.

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J’ai entendu il y a longtemps une phrase. La citation était plus ou moins la suivante : On peut tromper quelqu’un pendant toute sa vie, mais on ne peut tromper tout le monde que pendant un certain temps. C’était un cours de philosophie, on parlait d’Hitler, de la deuxième guerre mondiale, des camps de concentration. On essayait de comprendre pourquoi cela a été possible. On parlait aussi de Staline qui ne s’est pas très éloigné de l’autre dans son œuvre.

Poutine, ce malheureux, il doit être content d’observer les résultats de ce qu’il a fait. Tout le monde se déchire, tout le monde s’accuse. En Ukraine, en Europe, aux États Unis, dans le monde entier. Il n’a pas pris l’Ukraine en trois jours comme il voulait, mais bon, il a compris la leçon. Un peu plus de temps, un peu plus de morts, et il est toujours au pouvoir, il gagne toujours des milliards, on fait toujours du business avec lui, il a éliminé toute opposition possible au sein de la Russie, il se fait des amis parmi les autres malheureux qui aimeraient bien profiter de cette faiblesse de l’occident et moi personnellement je ne vois pas pourquoi il s’arrêterait. Tout va bien pour lui non ?

Je sais que personne ne croyait que l’Ukraine pouvait résister à une telle armée. Qu’on la considérait cette armée comme une vraie force contre laquelle on a construit toute une OTAN. Mais sera-t-elle prête, cette association à se servir de ce fameux article 5 de son traité ? En voyant l’Ukraine, qui protège, jusque-là, cette union, qui ne permet pas à l’armée de Poutine d’avancer plus loin, qui l’enterre cette armée, en enterrant aussi la sienne et qui, en retour, reçoit de moins en moins d’armes et des accusations en plus de ne pas avoir bien avancé, alors qu’il n’y avait vraiment pas avec quoi, et ils le savent, ceux qui accusent, je ne serais pas si sûr que cet article soit toujours d’actualité. Comme je ne suis pas sûr que si ce n’était pas l’Ukraine, dont les militaires sont des vrais guerriers, si Poutine avait décidé d’attaquer directement un pays membre de l’OTAN, ce pays victime n’aurait pas été effectivement envahi en trois jours. Et des excuses, c’est toujours facile à trouver.

On les a bien trouvés pour le mémorandum de Budapest.

Pour l’Ukraine ça n’a pas marché comme prévu, d’accord. Poutine s’est cassé la gueule au début. Beaucoup de politiques ont été étonnés. Beaucoup de pays membres de l’OTAN ont promis des armes, ils ont participé, beaucoup, au début. Mais jusque-là certaines de ces promesses n’ont pas été tenues.

Poutine, en attendant, a su changer de stratégie et chaque jour il devient de plus en plus fort. Je ne sais pas combien de temps encore les soldats ukrainiens pourront retenir ce monstre dans ces conditions, mais ça me parait évident que si les conditions ne changent pas, si les aides militaires n’augmentent pas vraiment, l’OTAN aura un jour affaire directement à Poutine qui sera, à ce moment-là, encore plus fort, parce qu’on lui aura permis de le devenir. Et il sera bien dispo avec toute sa machine de guerre qu’il est en train de construire. Et il sera bien fier de lui, ayant vu cette attitude envers l’Ukraine. Ça lui servira d’exemple. Et ça lui donnera envie.

N’allez pas croire que c’est impossible. Cette guerre-même semblait impossible et pourtant on est bien dedans jusqu’aux oreilles, même pas jusqu’au cou.

Pour nous, c’est assez simple, soit on gagne malgré tout, soit on meurt. Comme pays, comme culture, comme personnalités. Parce qu’il n’est pas possible de vivre dignement sous un régime pareil, donc on ira jusqu’au bout, on n’a pas le choix, on sait très bien ce qu’on risque.

Pour les autres pays qui voisinent avec la Russie, j’aimerais bien conseiller quelque chose, mais je ne trouve rien, à part d’appuyer plus sur les politiques, qui retiennent sous telle ou telle excuse les aides pour l’armée ukrainienne. Eux, ces pays, ils savent aussi ce qu’ils risquent. Ils ont déjà essayé. Personne n’a aimé.

Avec cette guerre en Ukraine l’OTAN a la chance de toute son existence d’en finir avec la façon d’être des régimes en Russie, qui la menacent depuis des décennies, qui nie toute démocratie, tout respect de la vie humaine, des droits de l’homme, si on s’en souvient encore. Ils ont cette chance unique, ces pays de l’OTAN, d’y mettre fin sans sacrifier une seule vie de leurs citoyens. Sans avoir un seul enfant mort sous un bombardement. Sans avoir une seule femme veuve ou violées par des soldats déchaînés qui se croyent tout permis. Ils ont cette chance, eux. Ils ont ce choix. Il serait très dommage de ne pas en profiter. Il serait très dommage de perdre l’Ukraine et d’avoir à affronter ce monstre directement.

Regardez si vous avez un moment la vidéo de Mariupol de 2022, ville heureuse, illuminée pour les fêtes de Noël. Ville ukrainienne, mais russophone. C’est rasé. Il n’en reste plus rien. Les Russes sont venus la reprendre, la sauver comme ils disaient à l’époque. Ils ne le disent plus. Ils ne se cachent plus. Ils rasent tout simplement.

Je peux comprendre qu’on a cru que la Russie avait toutes les chances de devenir un pays démocratique après la chute de l’Union Soviétique. Je suis né en 1989 et pendant toute mon enfance j’ai assisté à cette liberté qui était si proche, qui grandissait avec moi. Je ne connaissais même pas autre chose. C’était tout naturel.

Je me souviens aussi de cette liberté d’expression à la télé, mon grand-père y travaillait. Ils se croyaient tout permis ces adultes, ils pouvaient enfin respirer, ils s’imaginaient un avenir. Ils pensaient que toute cette période était bien finie. Je me souviens de cette ambiance merveilleuse, quand j’étais gosse. Et du moment où elle a été cassée. Quand j’ai su qu’un parent lointain s’en est allé faire la guerre en Ichkérie pour l’argent, il a choisi de tuer les gens pour nourrir sa famille. Je n’ai jamais compris, j’ai été bouleversé.

Depuis lors, les conflits militaires avec les pays voisins ne s’arrêtent pas et sont de plus en plus meurtriers. Et leur croissance coïncide parfaitement avec l’assassinat progressif de la presse libre et la restauration du régime autoritaire, ainsi qu’avec l’augmentation permanente du niveau de propagande que Goebels envierait aujourd’hui.

Donc, si on veut tenter sa chance et laisser l’Ukraine à Poutine, espérant qu’il n’ira pas plus loin, on peut le faire bien sûr. Mais ça peut coûter encore plus cher que ça a déjà coûté à beaucoup de gens, à beaucoup de familles.

On ira bientôt encore une fois dans un camp de réfugié à Koblévo. C’est un orphelinat. On va essayer d’apporter des cadeaux, des gâteaux. 120 enfants, qui n’ont plus de parents. Qui ne les auront plus pour toute leur vie. À jamais. Definitivement. Sans objection. Ils ne peuvent pas changer ça, personne ne le peut. Il y en a qui ont 3 ans, 4 ans. Il y en a qui ont plus. Tous réunis pour une seule raison. La guerre. Tous avec le même sourire qui dépasse bien l’âge qu’ils ont.

Quand je les vois, je pense aussi à ma petite sœur qui n’a que trois ans, que je n’ai jamais vu en vrai. Seulement en vidéo. Elle est tellement joyeuse, elle ne sait pas encore quel monde de connards on a créé. Elle va se poser bientôt des questions genre pourquoi on ne peut pas se voir, elle en Russie, moi en Ukraine. Je vais devoir un jour lui expliquer des choses que j’aimerais ne pas avoir à expliquer à un enfant.

Les enfants, ils n’ont pas de nationalité, ils ne devraient pas. Maman, papa, c’est presque pareil en toutes les langues.  C’est nous les soi-disant adultes qui la leur prescrivons, leur nationalité, en leur mettant aussi sur les épaules toute cette saloperie de conflits congelés que l’on n’a pas su résoudre nous-même.

Et ça continue, ça n’arrête pas. Ça n’arrête jamais.

Je vais dire une banalité, mais il est temps que le monde trouve une solution, surtout si aider l’Ukraine militairement n’est plus une option. Avec notre intelligence, nos technologies d’aujourd’hui, on pourrait au moins essayer, non?  On fait des choses impossibles, inimaginables il y a quelques dizaines d’années, et on s’entretue toujours comme des barbares. Qu’est-ce qu’il faut faire alors pour arrêter cela? Pour comprendre qu’une vie, une seule vie humaine, est déjà un miracle en soi. Et que ce ne sont surtout pas nous, les humains, qui avons le droit d’en priver quelqu’un.

C’est ça que j’aimerais demander à Saint Nicolas et à tous les saints de toutes les religions. Qu’ils nous guident vraiment, tous ensemble. Peut-être que là, ce n’est plus à l’Europe, ni aux États-Unis, c’est vraiment à eux de se réunir, parce que nous, les humains, on ne s’en sort plus. Qu’ils nous aident, si possible, à enterrer nos torts et à voir nos différences comme quelque chose de beau et de créatif, au lieu de se déchirer à chaque occasion. N’a-t-on pas assez souffert jusque-là ?

N’a-t-on pas assez fait pleurer nos enfants, nos pères et nos mamans ? 

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