Un russe en Ukraine
Le blog d'Artem SAVART

On se débrouille

On aura vécu des choses. Mais ce qui est certain et primordial : on survivra dans n'importe quelles conditions, parce que l'on sait se débrouiller.

Hier encore, j’ai eu deux surprises. Un client dont je venait de terminer le projet, finançant de ma propre poche qui s’est finalement vidée les café et les restos pour pouvoir travailler dessus, ne pensait pas être en état de payer les factures à temps et juste après cette nouvelle on a eu droit à quelques coucous bien réussis cette fois de mes ex-con-patriotes de sauvages. Donc je me suis retrouvé à nouveau et pour un temps indéfini sans électricité et internet, mais cette fois aussi sans argent.

J’ai quand-même réussi après plusieurs essais d’envoyer mes factures le lendemain. Pour pouvoir le faire, sachant déjà comment ça fonctionne, j’ai éteint mon portable et me suis rendormi le plutôt possible pour me réveiller assez tôt : c’est à 5-6 heures du matin justement que le réseau mobile fonctionne au moins à peine. Certainement parce qu’il y a moins de prétendants, vu que l’on dort très bien dans le noir.

Aussi, en m’endormant, je pensais à d’autres solutions possibles et mine de rien dans ma tête est venue une idée d’ouvrir à Odessa des centres autonomes en énergie et connexion, pour que les gens comme moi, par exemple, puissent exercer leur métier dans les conditions normales quoi qu’il arrive aux systèmes communs.

Donc, me suis-je réveillé. Je me suis fait un thé et j’ai envoyé mes factures au client avec un petit texte explicatif, sans trop m’attendre à sa réaction. De toute façon, je ne la verrais pas à cause de ma batterie bientôt déchargé.

J’avais rendez-vous à 13:30 à la maison avec la propriétaire et mon ami Fred, qui est aussi mon colocataire plutôt virtuelle, vu qu’il n’habite pas à Odessa pour le moment, il vient juste de temps en temps pour nous voir tous. Il faisait froid. Encore plus froid il faisait dehors. La neige en plus.

Je me suis forcé à me faire bouillir de l’eau pour prendre mon bain et ensuite sortir dépenser les 150 hryvnias qu’il me restait : les échanger contre deux-trois cafés et un peu d’électricité. Je savais que je ne pouvais pas trouver de l’internet dans le café où je me dirigeais. Hier on s’est bien amusé avec le générateur, mais on n’a pas pu connecter le routeur. Le café était bourré de gens, la serveuse stressé à tel point que les clients l’aidait à servir les autres clients et à nettoyer la machine, tout en la consolant tous ensemble. Les gens riaient, ils étaient contents de trouver un peu de chaleur. Surtout humaine. On accepte avec dignité ce qui nous arrive à tous, on reste ensemble, on s’entraide. Jamais ne sera vaincu un peuple de ce degré.

J’ai laissé ma rallonge, que je promène toujours avec moi, aux gens du café. On a essayé de l’utiliser entièrement, mais le petit générateur n’a pas aimé et nous a fait sa petite grève. Donc, j’ai déconnecté mes outils et me suis pris un café. J’allume le portable quand-même et quelle surprise : ça capte toujours ! J’ai vu que le client a pu faire un virement instantané, j’ai lu les messages, reçu depuis hier matin, j’ai pu appeler Diana, mon amour, avec laquelle on s’est rencontré à la Frenchbox chez David en déchargeant les cartons humanitaires au début de la guerre.

Qu’est-ce qu’on s’entend bien, qu’est-ce qu’on s’aime ! Je savais que les relations pareilles existaient mais moi-même je n’ai jamais été aussi heureux et aussi sûr que je le suis avec elle. David, d’ailleurs, j’ai pu le joindre lui aussi. Il va bien, mais sans électricité et chauffage. J’imagine que, lui ayant pendant tout ce temps du courant, il était connecté à un hôpital, donc cette fois ils ont dû privé un hôpital de l’électricité, ces pauvres de soi-disant envahisseurs.

J’ai appelé d’autres copins, j’ai répondu aux clients et je me suis tout de même un peu occupé de l’idée que j’ai eu cette nuit. Un centre autonome en énergie qui permettra aux gens d’avoir un endroit où ils pourront toujours se trouver une table, une chaise, du courant et de l’internet. Si jamais je réussie à en ouvrir le premier, je me consacrerai à en ouvrir d’autres. On en a vraiment besoin et cela ne coûte pas énormément d’argent. Je suis certain que cela va être d’une aide efficace.

Pour en ouvrir le premier il suffit d’un endroit, quelques batteries, un gros générateur, quelques meubles et une fibre optique. L’endroit, je l’ai trouvé de suite. Justement j’en ai visité un pas très loin de la gare centrale, un ancien bar, dont le propriétaire vient de partir en France, sans avoir pu le louer à quelqu’un, donc il est libre. Au sous-sol en plus, donc protégé et pendant les alertes on aura pas besoin d’arrêter le travail.

Je ne savais pas pourquoi, mais j’ai voulu le voir absolument il y a une semaine sans trop savoir pourquoi. Maintenant je le sais, et je peux dire qu’il est idéal pour ce genre d’endroit. On pourrait y mettre une vingtaine de personne en même temps. Une vingtaine de personnes qui travaillent et apportent régulièrement de l’argent à leur pays en guerre. C’est déjà quelque chose.

Mais il est temps de dormir. Je ne vous raconte pas en détails toute ma journée. J’ai juste fait à peu près tout ce que je voulais faire, j’ai pu travailler, on est allé le soir au resto qui avait un groupe électrogène et même de l’internet. Une journée agréable malgré les conditions. Grâce aux gens qui m’entourent.

Il fait froid. Je me suis permis d’inviter deux de mes chats dans ma chambre et ils ont un peu réchauffé le lit. Exploiteur, direz-vous ! Il n’y a toujours pas d’électricité et je me gèle tellement que je n’imagine même pas comment se sentent les gens avec une santé beaucoup plus fragile que la mienne. Les gens âgés, les malades aux hôpitaux.

Horrible, ça.

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